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61. A M. JORDAN.

Camp de Mollwitz, 13 mai 1741.

Non, ces vers ne sont qu'empruntés,
Cela ne s'appelle point rire;
Vos esprits n'étaient pas montés
Pour plaisanter, ni pour écrire.
J'aime mieux vos vivacités
Et votre mordante satire
Que ces belles moralités
Qu'un autre avant vous a pu dire.
Vous êtes aimable et charmant,
Dites ce que votre âme pense;
Il nous suffît de l'agrément
Dont elle fera la dépense.
Tout sera nouveau, naturel,
Assaisonné de ce bon sel
Que produisit jadis Athène,
Et que plus d'un savant, par haine,
Masque des horreurs de son fiel.
Hélas! quittez donc par sagesse
Ce grave et froid raisonnement,
Ennuyeux assaisonnement
De notre insipide vieillesse,
Et laissez au calculateur
Qui distingue, somme et arguë,
Et qui, flottant parmi l'erreur,
Croit qu'un chacun a la berlue,
L'avantage si peu flatteur
De son algèbre qui le tue.
N'oubliez donc pas qu'en effet
Il faut profiter de la vie,
Que c'est là ma philosophie,
Comme ceci votre portrait.

En vérité, monsieur d'un autre monde, pensez donc enfin que deux lettres joviales ne suffisent pas pour convaincre la chrétienté de votre bonne humeur, et qu'il faut de la continuation à vos charmes. Puissiez-vous demeurer à Breslau tant que la peur vous y retient, puisse l'ennemi être aussi timide que vous, et moi avoir toujours l'avantage de votre amitié! Ce sont les vœux <111>de celui qui a l'honneur d'être, très-prudent, très-grave, très-savantissime Jordan,



Monsieur,

de Votre doctissime Sapience
le très-religieux admirateur.