7. AU MÊME.

Königsberg, 8 août 1789.

Je vous écris le matin à quatre heures, faute d'autre temps. Vous me croirez bien occupé, si vous en jugez par ce début; mais vous changerez bientôt de sentiment, si vous daignez réfléchir au proverbe spirituel que je ne sais quel sage a inventé : Les apparences sont trompeuses.

Nous nous donnons tout l'exercice imaginable, et cela, depuis la pointe du jour jusqu'aux ténèbres de la nuit. Ne vous imaginez point que ce soit pour bouleverser le monde; ne croyez pas non plus que ce soit pour faire quelque grand ouvrage. Nous ne faisons que promener tout doucement avec nous l'oisiveté et l'ennui. Ce sont, je crois, les pénates de Königsberg, car les gens qu'on voit et l'air qu'on respire semblent ne nous imprimer autre chose. Enfin, mon cher, je suis à présent à la tête de presque toutes les affaires matrimoniales du pays. Vous savez que j'ai signé par le passé des dispenses de parenté; me voilà à présent près de partir pour les haras, où tout propagera gratis; ainsi je ferai multiplier les créatures de nos États, tant hommes que brutes. Si vous étiez ici, je vous donnerais le choix de la plus jolie fille lithuanienne ou de la plus belle cavale des haras. Au moins, que votre sagesse ne s'en scandalise point, car entre fille de ce pays et jument de haras, il n'y a que la différence de bête à bête.

Je serai le 17 à Berlin, où je compte bien de vous voir et de laisser déborder toute une mer d'idées que j'ai retenues par des <59>digues et des boulevards de circonspection plus forts que ceux par lesquels les Hollandais enchaînent l'Océan. Si la comparaison vous paraît trop forte, il ne dépendra que de vous de la réduire à sa juste proportion.

Adieu à Jordan et à sa bibliothèque. J'espère de revoir le premier leste et gai comme un pinson, et l'autre augmentée presque du double.