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22. DE LA MÊME.

Bruxelles, 14 juillet 1740.



Sire,

J'espère que M. de Camas44-a aura rendu compte à Votre Majesté du plaisir que j'ai eu de le voir et de m'entretenir avec lui de tout ce qu'elle a déjà fait pour le bonheur de son peuple et pour sa gloire. V. M. peut aisément s'imaginer combien il a eu de questions à essuyer; je puis vous assurer que j'ai trouvé le jour que j'ai passé avec lui bien court, et que je ne lui ai pas dit la moitié de ce que j'avais à lui dire, quoique nous ayons toujours parlé de V. M. Je vois, par le choix qu'elle a fait de M. de Camas et de ses compagnons, qu'elle se connaît aussi bien en hommes qu'en philosophie. Je n'ai guère connu d'homme plus aimable, et qui inspire plus la confiance; aussi n'ai-je pu m'empêcher de lui laisser voir le désir extrême que j'ai d'admirer de près V. M. Nous en avons examiné ensemble les moyens, et j'espère qu'il en aura écrit à V. M. Il y en avait un, qui n'est plus à présent en mon pouvoir; je m'en console dans l'espérance que le voyage de V. M. à Clèves me mettra à portée de lui faire ma cour, et de ne devoir cette satisfaction qu'à mon attachement pour V. M. et au désir extrême que j'ai de l'en assurer moi-même. Je rougissais d'en avoir l'obligation à d'autres, et il me suffit que V. M. daigne le désirer pour que je fasse l'impossible pour y parvenir.

V. M. doit bien croire que, puisque le commencement des Institutions de physique ne lui a pas déplu, je vais presser la fin de l'impression, et j'espère les présenter à V. M., si j'ai le bonheur de la voir cet automne. Mais, Sire, il faut que je vous dise que le cœur me saigne de voir le genre humain privé de la Réfutation de Machiavel, et je ne puis trop rendre de grâces à V. M. de la bonté qu'elle a de m'excepter de la loi générale et de m'en promettre un exemplaire; c'est le don le plus précieux que V. M. puisse me faire. Je ne crois pas que l'édition s'en achève en Hollande; mais j'imagine que V. M. en fera tirer quelques exemplaires à Berlin, et qu'elle n'oubliera pas alors la personne du monde qui <42>fait le plus de cas de cet incomparable ouvrage. Je ne connais rien de mieux écrit, et les pensées en sont si belles et si justes, qu'elles pourraient même se passer des charmes de l'éloquence. J'espère que V. M. sera servie comme elle le désire, et que ce livre ne paraîtra point. M. de Voltaire ira même en Hollande, si sa présence y est nécessaire, comme je le crains infiniment, car les libraires de ce pays-là sont sujets à caution, et je puis assurer V. M. qu'il ne lui fera jamais de sacrifice plus sensible que celui de ce voyage. J'espère cependant encore qu'il pourra s'en dispenser.

V. M. a sans doute bien des admirateurs qu'elle ne connaît point; mais je ne puis cependant finir cette lettre sans lui parler d'un des plus zélés, qui m'appartient de fort près, et que M. de Camas a vu ici; c'est M. du Châtelet, fils du colonel des gardes du Grand-Duc. Il a passé exprès à Baireuth, en venant de Vienne ici, pour avoir le plaisir de parler de V. M. et de connaître la princesse sa sœur; il en est parti comblé des bontés que l'on a eues pour lui dans cette cour, et le cœur tout plein de Frédéric. Madame la margrave lui a donné un air de la composition de V. M. : nous l'avons fait exécuter. Je travaille à l'apprendre, car la musique de V. M. est bien savante pour un gosier français, et je ne désirerais de perfectionner le mien que pour chanter ses ouvrages et ses louanges. V. M. est à présent occupée à recevoir les hommages de ses sujets de Prusse; mais j'espère qu'elle est bien persuadée qu'on ne lui en rendra jamais de plus sincères et de plus respectueux que celle qui a l'honneur d'être, etc.


44-a Voyez, t. XVI, Avertissement, no IX, et p. 137-192.