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25. DE LA MÊME.

Fontainebleau, 10 octobre 1740.



Sire,

J'ai partagé bien sensiblement le plaisir que M. de Voltaire a eu d'admirer de près le Marc-Aurèle moderne. Les lettres qu'il m'écrit ne sont pleines que des louanges de V. M. et du bonheur qu'il y a à passer ses jours auprès d'elle.

J'ai pris le temps qu'il est occupé à exécuter en Hollande les ordres de V. M., pour venir faire un tour à la cour de France, où quelques affaires m'appelaient, et où j'ai voulu juger par moi-même de l'état de celles de M. de Voltaire. Il a eu l'honneur d'en parler à V. M. Il n'y a rien de positif contre lui; mais une infinité de petites aigreurs accumulées peuvent faire le même effet que des torts réels. Il ne tiendrait qu'à V. M. de dissiper tous les nuages, et il suffirait que M. de Camas ne cachât point les bontés dont V. M. l'honore et l'intérêt qu'elle daigne prendre à lui. Je suis bien certaine que cela suffirait pour procurer à M. de Voltaire un repos dont il est juste qu'il jouisse, et dont sa santé a besoin. Je ne doute pas que V. M. ne lui donne cette nouvelle marque de ses bontés, et qu'elle ne fasse aujourd'hui par M. de Camas ce qu'elle daigna faire par M. de La Chétardie dans un temps où nous n'osions pas même en prier V. M. Louis XII disait qu'un roi de France ne devait point venger les injures d'un duc d'Orléans; mais je suis persuadée que V. M., faite pour surpasser en tout les meilleurs rois, pense qu'un roi de Prusse doit protéger ceux que le Prince royal honorait de son amitié. Je suis bien affligée de me trouver à une autre cour qu'à celle de V. M.; j'espère toujours que je pourrai satisfaire quelque jour le désir extrême que j'ai de l'admirer moi-même et de l'assurer de vive voix du respect et de l'attachement avec lesquels je suis, etc.