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11. A LA MÊME.

Remusberg, 15 avril 1739.



Madame,

Les chagrins du digne Voltaire m'ont été extrêmement sensibles. Je suis tout de feu pour mes amis, et tout ce qui les regarde me touche autant que si cela me regardait personnellement; je n'aime point les amis qui se tiennent comme ces tranquilles Euménides de l'opéra lorsque leurs amis ont besoin de leur secours. Aussi vais-je m'intéresser pour le digne Voltaire, sans qu'il m'en ait sollicité; j'écrirai, pour cet effet, par l'ordinaire prochain au marquis de La Chétardie,a et je ferai jouer tous mes ressorts pour rendre le calme à un homme qui a si souvent travaillé pour ma satisfaction.

Il faut que Voltaire se contente de mépriser ses ennemis; c'est en vérité toute la grâce qu'il leur peut faire. Il se rabaisserait trop en se mettant en compromis avec eux, et sa plume est trop noble pour s'escrimer contre des armes qui n'ont de force que tant que la malice et la calomnie les soutiennent. Je suis donc bien aise qu'il ait pris le parti du silence.

Vous m'attaquez, madame, du côté de la physique, et je ne trouve de salut que dans la fuite. J'ai fait si peu de progrès dans la connaissance de la nature, que je me garderai bien d'entrer en lice avec vous. Ce de quoi je conviens cependant très-volontiers, c'est qu'il y a beaucoup de choses dans la nature qui nous sont cachées, et qui apparemment le seront toujours.

Je me consolerais à la vérité facilement d'ignorer le ressort de l'air, la cohérence, etc., si j'avais l'avantage de vous connaître personnellement. Vous jugez bien, madame, qu'il m'est d'autant plus douloureux de vous savoir sur les confins des États du Roi mon père, et de ne pouvoir profiter de ce voisinage. Je ne sais quelle force centrifuge me pousse malgré moi en Prusse; mais je sens bien que je porte en moi un principe qui dirigerait mes pas


a Voyez t. XVI, p. 140, 160, 207 et 401.