<227>après tout, un particulier a de tout autres raisons pour être honnête homme qu'un souverain. Chez un particulier, il ne s'agit que de l'avantage de son individu; il le doit constamment sacrifier au bien de la société. Ainsi l'observation rigide de la morale lui devient un devoir, la règle étant : Il vaut mieux qu'un homme souffre que si tout le peuple périssait. Chez un souverain, l'avantage d'une grande nation fait son objet, c'est son devoir de le procurer; pour y parvenir, il doit se sacrifier lui-même, à plus forte raison ses engagements, lorsqu'ils commencent à devenir contraires au bien-être de ses peuples.

Voilà ce que j'avais à vous dire, et dont vous pourrez faire usage en temps et lieu dans les compagnies et les conversations, sans faire remarquer que la paix est faite.

Pressez Knobelsdorff d'achever Charlottenbourg, car je compte y passer une bonne partie de mon temps.

Adieu, cher Jordan; ne doutez point de toute la tendre amitié que j'ai eue, que j'ai, et que j'aurai pour vous jusqu'au dernier soupir de ma vie.

152. DE M. JORDAN.

Berlin, 16 juin 1742.



Sire,

J'ai vu par la lettre de Votre Majesté qu'elle n'est point du tout contente des Français. Ils viennent de faire une bévue bien grande à l'égard du corps de Khevenhüller; les gazettes de Leipzig disent même qu'ils ont été battus par les Autrichiens. V. M. m'ordonne de lui dire ce que pense le public sur les affaires présentes. Comme je ne sais qu'obéir, je parlerai sur ce sujet avec toute la franchise dont mon âme est capable, et je rapporterai scrupuleusement les différents ouï-dire.

V. M. peut déjà être assurée d'une chose, c'est qu'en général les Français ne sont point aimés. On voit avec peine qu'ils soient