<182>Le reste est une aveugle rage
Que, d'un instinct brutal séduits,
Admirent tant de faux esprits.

Vous savez trop bien que l'on ne peut jamais être plus brave que lorsque la circonspection ne nous expose aux dangers que par nécessité ou par raison, et, comme vous êtes extrêmement prévoyant, vous ne vous y exposez jamais; d'où je dois conclure que peu de héros vous égalent en valeur. Votre bravoure conserve encore son pucelage, et, comme toutes les nouvelles choses sont meilleures que les vieilles, il s'ensuit que votre courage doit être quelque chose de tout à fait admirable. C'est une fleur qui est près d'éclore, qui n'a encore souffert ni des ardeurs du soleil, ni des vents du nord; enfin c'est un être si digne d'estime, qu'il est digne de la métaphysique et des dissertations de la marquisea sur la nature du feu. Il ne vous manque qu'un plumet blanc pour ombrager les bords de vos audaces, une longue rapière, de grands éperons, une voix un peu moins grêle, et voilà mon héros tout trouvé. Je vous en fais mes compliments, divin et héroïque Jordan, et je vous prie de jeter du haut de votre gloire quelque regard débonnaire sur vos amis, qui rampent ici dans les fanges de la Bohême avec le reste du troupeau des humains.

Je crois que d'Argens est fou; ne lui en dis rien cependant, et garde-toi bien d'aigrir la bile de notre philosophe, qui me paraît avoir plus de cette marchandise que de bon sens.

Adieu; tu connais tous les sentiments que j'ai pour toi.

120. DE M. JORDAN.

Berlin, 22 avril 1742.



Sire,

Je suis au bout de mon latin, et je ne sais par où commencer la lettre que je dois écrire à V. M.


a Madame du Châtelet.