<165>

110. A M. JORDAN.

Selowitz, 2 avril 1742.

De votre fauteuil velouté.
Que votre muse érige en Pinde,
D'où vous jugez en liberté,
Du Manzanarès jusqu'à l'Inde,
Sur l'humaine fragilité,
Vos vers et votre aimable prose,
Cher Jordan, me sont parvenus;
Ce sont ici mes revenus,
Et mes galions du Potose.
Quand le postillon trop tardif
N'apporte point de vos nouvelles,
Je voudrais du temps fugitif
Que vous pussiez avoir les ailes;
Du moins que votre esprit actif
Me détachât de ses parcelles,
Afin de rapetasser celles
De mon esprit lourd et chétif.
Plongé dans la mélancolie,
Je forme de lugubres sons,
Et je détonne les fredons
De l'assoupissante élégie;
Je fréquente les lieux cachés,
Les sombres forêts, les rochers.
Soyez touchés de ma souffrance.
Écho, répète mes accents;
Jordan, c'est ta cruelle absence
Qui cause ici tous mes tourments,
Dis-je; et les échos tristement
Répondent à ma doléance.
Une comète s'est fait voir,
Me dit-on, et quelque astrologue
Assure que c'est le prologue
Du jour où, selon mon espoir,
De ce Jordan si fort en vogue
Chez laïque et chez pédagogue
Je jouirai de l'aube au soir.
Quel sabbat, quelle synagogue,
Lorsque nous pourrons nous revoir!