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96. AU MÊME.

Gross-Bitesch, 11 février 1742.

D'un manoir bien peuplé de saints,
Dont l'habitant simple et crédule
Au saint-père baise les mains
Ou bien aussi la sainte mule,
Où règnent encor les sorciers
Et tous les antiques vertiges
De vampires, de vains prodiges,
Longtemps bannis de nos quartiers;
D'un gîte où la plus noire envie
En vérité n'envierait rien,
Où je ne serais de ma vie,
Si la gloire, cette folie,
Ne m'en eût frayé le chemin,

de l'endroit le plus diabolique de la Moravie et de l'Europe entière, des chemins les plus détestables, de la fatigue la plus insupportable, revenu un moment à moi-même, je vous écris pour vous montrer que je n'oublie pas, au milieu de mes travaux, le plus laconique des griffonneurs. Mandez à Maupertuis que mon voyage de Moravie lui préparera celui de Berlin, ce qui prouve bien l'axiome de Wolff, que tout est lié dans le monde. Cette connexion ici est véritable, mais je ne sais pas si chacun la devinera. En un mot, la paix ramènera chez moi tous les arts et toutes les sciences. Dites à Maupertuis que je me réserve alors à lui témoigner ma reconnaissance du passé.

Écris-moi des lettres de six cahiers, bavarde beaucoup, et mande-moi tout ce qui te passera par la tête.

Adieu au plus aimable et au plus quinteux mortel de Berlin. Souviens-toi quelquefois du philosophe guerrier qui soupire après Rheinsberg et ses amis.