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26. A M. DE SUHM.

Remusberg, 26 août 1736.



Mon cher Diaphane,

Je ne comprends pas quel démon ou quelle mauvaise étoile peut avoir arrêté si longtemps en chemin ma lettre datée du camp de paix. Il faut que quelque destin jaloux du plaisir que je prends à vous écrire ait porté obstacle à la facilité de notre correspondance.

Vous savez donner un tour si singulier et si obligeant pour moi à toutes les choses métaphysiques qui constituent la matière ordinaire de vos lettres, qu'il semble que la philosophie, peu susceptible d'elle-même d'agréments, revête un air de politesse entre vos mains. Si le célèbre Fontenelle a su épurer l'astronomie de ce qu'elle a de pédant, vous nous montrez comment votre génie supérieur sait donner un tour heureux à la métaphysique; elle devient un trafic de politesse entre vos mains. La nature, il est vrai, devait un génie comme Fontenelle à la France; mais la raison nous en devait un comme vous, qui nous la faites considérer d'un côté aimable qui détrompe le public des préjugés dans lesquels il est contre elle, car son emblème est celui d'un vieillard sévère, et c'est ce qui la rend odieuse. Je m'arrête dans une aussi riche carrière et au milieu des éloges que la vérité place dans ma bouche; votre modestie me défend de continuer; ainsi j'en reviens à votre lettre.

Je ne vois pas que ce serait un grand mal que nous ferait la philosophie en nous délivrant de cette cruelle ambition ou de cette soif ardente des richesses, sources des guerres sanglantes qui déchirent le genre humain. Plus pauvres de quelques héros, de combien de mortels n'aurions-nous pas été plus riches, qui ont été des victimes mercenaires de la rage et de l'ambition démesurée de leurs maîtres! Ne craignons rien sur cet article, mon cher Diaphane. Dans des temps peu éclairés, les Socrate, les Platon et les Aristote ont été les flambeaux qui éclairaient le monde, et le genre humain était pervers et livré à l'avidité de ses passions. Le siècle où nous sommes, plus éclairé que celui-là,