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22. AU MÊME.



Mon cher Camas,

Je viens de recevoir votre lettre avec l'épître inintelligible de notre très-obscur bel esprit. En vérité, c'est un chef-d'œuvre d'extravagance, et j'ai eu peine à m'imaginer que la dame que vous me nommez en soit l'auteur. Elle va chercher Voltaire à deux cents lieues d'elle pour lui débiter des paradoxes et un portrait contradictoire de sa personne. Sa camarade s'en serait assurément mieux acquittée; elle écrit joliment, et sans toute cette affectation et ce galimatias de notre nouveau bel esprit. Madame de Brandta a le talent de s'exprimer avec grâce. Vous remarquez très-bien la conformité du teint fardé des Françaises et du goût frelaté de nos Allemandes. Je voudrais qu'on pût faire un troc heureux de l'un contre l'autre; nous y gagnerions assurément.

La revue du prince Henri n'a point été heureuse, et malgré le bon ordre du régiment, le Roi a paru très-peu satisfait des recrues. Demain c'est ma revue; j'espère de me tirer bien d'affaire, pour peu que le temps me favorise.

Le pauvre Beausobre est mort; nous avons perdu en lui le plus grand homme de Berlin en fait de finesse d'esprit, d'érudition et de politesse. Nous perdons toutes les années d'habiles sujets, et nous ne les voyons point remplacés; ce sont des perles réelles, et qui me font saigner le cœur, tant la gloire de la nation m'est chère.

Adieu, mon cher Camas; je vous souhaite tout le bonheur et toute la tranquillité possibles dans votre garnison solitaire; vous ne serez jamais aussi heureux que je désire que vous le


a Louise de Brandt, fille du ministre d'État Ernest-Bogislas de Kameke, née en 1710, femme, depuis 1730, de M. de Brandt, chambellan, et veuve depuis 1743; elle mourut en 1782. Voyez le Journal secret du baron de Seckendorff, Tubingue, 1811, p. 142 et 144, et la lettre de Frédéric à Voltaire, du 30 septembre 1738.