<82>donner des bornes aux vastes projets de la maison d'Autriche! C'est donc vous qui mettez un frein à sa cupidité et à son ambition? Vous êtes, Sire, le meilleur allié qu'ait jamais eu la France. Il ne manquait à mon bonheur que d'être né votre contemporain.

Quoique les choses soient bien changées depuis ma mort, je suis cependant au fait de la situation présente des affaires tout comme si j'en étais encore chargé. Le cardinal de Fleury, dont l'ombre aimable est descendue dans ces contrées délicieuses, m'a appris que la Franche-Comté, l'Alsace et la Lorraine étaient soumises à la domination française, et que la maison de Bourbon régnait en Espagne et en Italie. Il m'a dit qu'un nouveau rejeton était sorti des cendres de la maison d'Autriche éteinte, et que ce rejeton, poussant de profondes racines, acquérait plus de forces par l'arrangement admirable de ses finances et par la discipline de ses troupes qu'il n'en avait perdu par le démembrement de plusieurs provinces. Le cardinal de Fleury m'a fait encore remarquer la conduite artificieuse de cette nouvelle maison d'Autriche, qui, avec autant d'ambition que la première, sait couvrir ses piéges de fleurs, qui va par la sape au lieu de donner des assauts, qui endort ses ennemis au lieu de les combattre, et qui emprunte toutes sortes de formes pour cacher la véritable. Vous avez, Sire, comme un autre Hercule, obligé ce Protée à reprendre sa figure naturelle, et vous avez opposé la digue de vos victoires au débordement de son ambition.

Nous, Sire, habitants de l'Élysée, dont l'esprit subtil est dégagé des parties terrestres qui enveloppent et appesantissent les âmes des vivants, nous avons la connaissance de l'avenir comme du présent. Aucun artifice n'est impénétrable à nos yeux. Nous apercevons d'un coup d'œil les conséquences dans leurs principes. De là vient que naguère, examinant l'Europe, je m'aperçus des desseins dangereux que formait la nouvelle maison d'Autriche. J'ai vu, Sire, que cette maison d'Autriche, mais qui n'est que celle de Lorraine, se flattait d'écraser votre puissance pour établir le despotisme et la tyrannie en Allemagne; qu'elle comptait de priver la France de son allié le plus fidèle, pour tourner ensuite toutes les forces du Saint-Empire romain contre le Roi Très-