<IX>

AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.

Les Poésies posthumes renferment les pièces composées de 1757 à 1774, à l'exception de deux morceaux qui appartiennent à l'année 1754. Le ton de ces productions est généralement triste, et contraste avec la gaieté habituelle des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci. Ces poésies, en effet, écho des calamités de la guerre de sept ans et des intrigues politiques des années suivantes, témoignent des angoisses auxquelles le Roi était alors en proie. Il corrigeait avec le plus grand soin, dans les quartiers d'hiver, tout ce qu'il avait composé pendant la campagne, soit dans ses marches, soit dans les camps; et, la paix conclue, il revit encore le tout fort exactement. Il écrivait à ce sujet à d'Alembert, de Potsdam, le 24 mars 1765 : « Je vis à présent ici dans la plus grande tranquillité. Je m'amuse à corriger des vers que j'ai faits dans des temps de troubles. » Dans un concert qui eut lieu à Potsdam le 8 mai 1765 au soir, Frédéric présenta au duc Ferdinand de Brunswic l'Ode sur la retraite des Français en 1758, adressée à ce prince; il l'avait composée à Grüssau le 6 avril 1758, et corrigée à Potsdam le 26 février 1765. Il envoya aussi à Voltaire quelques-unes de ces poésies corrigées, entre autres, en décembre 1766, le Stoïcien, ou les « réflexions de l'empereur Marc-Aurèle mises en vers, » du mois de novembre 1761; en février 1767, le Conte du Violon, fait en novembre 1761, et la fable des deux Chiens et l'Homme, faite en février 1762; en février 1770, l'Épître à madame de Morrien, composée au mois de mars 1765.

Lorsque le Roi eut mis la dernière main aux pièces que nous avons nommées Poésies posthumes, il fit présent à son lecteur Henri de Catt du manuscrit destiné à l'impression, auquel il n'avait pas donné de titre; ce manuscrit se composait de trois cahiers, écrits par le secrétaire, et chargés de corrections de la main du poëte.a Mais en 1780, M. de Catt ayant eu le malheur de déplaire au Roi, le manuscrit lui fut retiré, et fut donné définitivement au secrétaire Villaume.b C'est de ce dernier que le roi Frédéric-Guillaume II l'acheta, ainsi que d'autres écrits autographes de Frédéric, au commencement de l'année 1787; on allait imprimer les Œuvres posthumes,b et ces divers morceaux furent placés dans le VIIe et le VIIIe volume. L'ouvrage de Preuss, Friedrich der Grosse als Schriftsteller, renferme (p. 317-319) une liste exacte et authentique des poésies du premier cahier de ce manuscrit. On y voit que les éditeurs des Œuvres posthumes ont omis, avant l'Épître à ma sœur de Baireuth (t. VII, p. 208), deux pièces : le Congé de l'armée des Cercles et des Tonneliers, et la poésie Aux Ecraseurs; en revanche ils ont fait entrer dans ce volume trois morceaux de poésie qui ne se trouvent pas dans la liste, c'est-à-dire, l'Épître à ma sœur Amélie, p. 166; Sur la lecture du Salomon de Voltaire, p. 277; et, A Voltaire, p. 278. Nous laissons ces trois dernières pièces où nous les avons trouvées; mais nous avons remis à leur place primitive le Congé de Vannée des Cercles et des Tonneliers et l'épître Aux Écraseurs, que nous avons tirés du Supplément aux Œuvres posthumes de Frédéric II, t. I, p. 277 et 275.

On voit, par cette même liste, que le Roi avait fait de ses poésies deux sections, comprenant, l'une les odes, l'autre les poésies mêlées. Il les avait rangées l'une et l'autre, à quelques pièces près, dans l'ordre chronologique. Cela est expliqué par l'auteur de la préface de la traduction allemande des Œuvres posthumes. Berlin, 1789, t. I, p. XVIII. Ce dernier avait à sa disposition le manuscrit original, qui ne s'est plus retrouvé depuis, et dont le premier cahier commençait par les Odes, le second par l'Épître à la princesse Amélie sur une négociation de paix qui échoua, le troisième par l'Épître au marquis d'Argens, du mois de mars 1760, imprimée en tête du septième volume des Œuvres posthumes. Nous avons remis ces trois cahiers dans leur ordre chronologique, qui avait été interverti par les éditeurs de 1788.

Cependant il y a quelques poésies de ce recueil qui ne sont pas à la place que leur assignerait l'époque de leur composition. Le royal Auteur ne les y admit peut-être pas d'abord. A ce qu'il paraît même, il ne les ajouta aux autres que lorsque le recueil fut terminé, et alors il n'eut point égard à l'ordre chronologique. Ainsi, t. VIII, p. 121, l'Épître au marquis d'Argens sur son jour de naissance, de 1754, a été mise entre deux pièces de l'année 1770; t. VIII, p. 133, et t. VII, p. 3-27, à la fin du second cahier manuscrit et au commencement du troisième, on trouve, entre les poésies de l'année 1770 et celles de 1771, six Épîtres au marquis d'Argens, de l'an 1754 à l'an 1768; t. VIII, p. 98, l'Épître contre les Écornifleurs, qui est de l'an 1765, a été placée entre 1769 et 1770; enfin, les vers au marquis d'Argens, t. VII, p. 293, qui portent la date A Nossen, ce 3 octobre 1761, date notoirement fausse, ont été classés par les éditeurs parmi les poésies de 1760, tandis qu'ils appartiennent à la lettre du 13 août 1762. Nous n'avons pas osé faire disparaître ces anachronismes.

A défaut du manuscrit original, nous avons suivi fidèlement le texte du VIIe et du VIIIe volume des Œuvres posthumes. Quand l'Auteur n'a pas mis la date de la composition, nous avons cherché à la tirer du contenu et de la correspondance du Roi avec Voltaire, le marquis d'Argens, de Catt et d'autres personnes, et nous l'avons ajoutée entre parenthèses.

Pour pouvoir former des Poésies posthumes deux volumes d'épaisseur à peu près égale, nous donnons dans ce premier volume toutes les odes et les poésies mêlées qui ont été composées avant la paix de Hubertsbourg, et dans le second, la suite des poésies mêlées, et un Appendice, au sujet duquel nous devons entrer dans quelques explications. Nous avons donné dans ces deux volumes les poésies du Roi d'après le texte des Œuvres posthumes de l'édition de 1788, comme il a été dit, parce que nous ne possédions pas les manuscrits originaux. Mais nous avons heureusement retrouvé les rédactions primitives de quelques-unes des pièces de cette collection. Ce sont des autographes, des copies que le Roi avait fait faire sous ses yeux, et quelques morceaux publiés avant 1788. On a jugé nécessaire de reproduire ces textes originaux, qui à la vérité sont pour la plupart moins parfaits que les autres, mais qui ont le mérite d'être authentiques et de n'avoir pas du tout été altérés par des corrections arbitraires. C'est là ce que nous avons renfermé dans l'Appendice.

Avant que l'édition de 1788 eût paru, on ne connaissait qu'une faible partie des Poésies posthumes. Gottsched avait publié en 1758 les vers que le Roi lui avait adressés l'année précédente. L'ouvrage de Voltaire intitulé, La vie privée du roi de Prusse, ou Mémoires pour servir à la vie de M. de Voltaire. A Amsterdam, 1784, renferme : 1o, p. 102-106, quelques passages de l'Épître au marquis d'Argens, Erfurt, le 23 septembre 1757; 2o, p. 127, la 14e et la 16e strophe de l'Ode au prince Ferdinand de Brunswic sur la retraite des Français en 1758. l'Épître à ma sœur de Baireuth sur sa maladie se trouve dans les Œuvres du Philosophe de Sans-Souci. A Neuchâtel, 1760, in-12, t. IV, p. 195-200. Enfin, le Deutsches Museum, Leipzig, 1780, contient, t. I, p. 157-160, à trente-quatre vers près, toute l'Épître au comte Hoditz, du 26 mars 1771. C'est à ces pièces que se réduisent les publications dont nous venons de parler.

Nous ne pouvons finir cet Avertissement sans citer un passage assez curieux de M. Thiébault sur les Poésies posthumes. Il dit, dans ses Souvenirs de vingt ans de séjour à Berlin, 4e édition, t. I, p. 111 : « Le Roi me faisait lire, en sa présence, quelques poésies faites depuis plus longtemps, et réunies en deux gros volumes in-4, mais sur lesquelles il me témoignait être bien aise d'avoir mon avis. C'est ainsi que j'ai connu, dans le temps, sa pièce de vers sur la mort de l'empereur Othon; son poëme sur l'origine des Polonais, qu'il supposait être issus d'un orang-outang; l'épître de remercîments au prince de Soubise, composée à Rossbach, le soir même de la bataille de ce nom, etc. » Les vers sur la mort de l'empereur Othon se trouvent dans notre collection des Poésies posthumes; mais quant aux deux autres pièces, nous n'en avons jamais pu trouver ni original ni copie.

Berlin, le 31 mars 1849.

J.-D.-E. Preuss,
Historiographe de Brandebourg.


a Voyez Friedrichs des Zweiten hinterlassene Werke, Aus dem Französischen übersetzt. Neue verbesserte und vermehrte Auflage. Berlin, 1789, t. I, p. XVIII.

b J.-D.-E. Preuss, Friedrich der Grosse als Schriftsteller, p. 5, 7 et 11.