<168>

ÉPITRE AU MARQUIS D'ARGENS.

Orgueilleuse raison, ce trait doit te confondre;
Que de maux inouïs sur nous viennent de fondre!
L'œil n'a pu les prévoir, ni l'art les prévenir,
Un voile impénétrable a caché l'avenir;
Nos regards curieux sans fin sur lui s'exercent,
Leurs efforts sont perdus, jamais ils ne le percent.
La campagne, marquis, approchait de sa fin,
On osait se flatter d'un plus heureux destin;
Déjà disparaissait l'immense multitude
De ce peuple cruel, né dans la servitude,a
Qui, tel qu'aux Apennins les orageux torrents,
Ravageait nos cités et dévastait nos champs.
Ils avaient fui, l'espoir commençait à renaître
Qu'ayant moins d'ennemis, on les vaincrait peut-être.
Ce calme inespéré ne dura qu'un moment,
La foudre avec l'éclair partit au même instant;
L'Autrichien caché, tapi dans ses montagnes,
Prémédite son coup, descend dans les campagnes.
Ces travaux dont Vauban, le digne fils de Mars,
Par des fossés profonds défendait les remparts
Dont Schweidnitz assurait sa redoutable enceinte,
N'ont pu contre un assaut la préserver d'atteinte;


a Le général Buturlin, évacuant la Silésie, repassa l'Oder le 17 septembre 1761. Voyez t. V, p. 142.