<168>Aimeriez-vous plutôt qu'on préférât la scène
Où Molière traça de sa naïve veine
De nos bizarres mœurs l'humiliant tableau?
« Cherchez, me dites-vous, un spectacle nouveau,
Allez à ce palais enchanteur et magique
Où l'optique, la danse et l'art de la musique
De cent plaisirs divers ne forment qu'un plaisir;
Ce spectacle est de tous celui qu'il faut choisir.
C'est là que l'Astruaa par son gosier agile
Enchante également et la cour et la ville,
Et que Felicinoa par des sons plus touchants
Sait émouvoir les cœurs au gré de ses accents;
C'est là que Marianne,a égale à Terpsichore,
Entend tous ces bravos dont le public l'honore;
Ses pas étudiés, ses airs luxurieux,
Tout incite aux désirs nos sens voluptueux. »
Je vous entends. Sachez que dans le fond de l'âme
J'aime tous ces plaisirs qu'un faux mystique blâme;
Ami des sentiments des épicuriens,
Je laisse la tristesse aux durs stoïciens;
Si comme Thèbe, hélas! notre âme avait cent portes.
J'y laisserais entrer les plaisirs en cohortes.
Tout le monde, après tout, ne pense pas ainsi :
J'ai vu d'outrés chasseurs, en haussant le sourcil,
Bâiller et s'endormir au sein de ces merveilles;
Nul son ne peut flatter leurs stupides oreilles,
Leur esprit, occupé de cerfs, de sangliers,
Au lieu de voir Cinna, rêvait aux lévriers.
J'ai vu sur vos gradins frémir d'impatience
Plus d'un vieil Harpagon rêvant à la finance,


a La signora Giovanna Astrua, cantatrice à l'opéra, vint de Naples à Berlin dans le mois de mai 1747; elle quitta le théâtre de cette dernière ville en 1757.
     Le chanteur Felicino Salimbeni, né à Milan vers l'an 1712, s'engagea en 1744 à l'opéra de Berlin, qu'il quitta dans l'automne de l'année 1750.
     Marianne Cochois, sœur de Babet Cochois, marquise d'Argens, était une des premières danseuses de l'opéra de Berlin.
     La célèbre Barberina, favorite du Roi et du public depuis 1744, était tombée en disgrâce et avait quitté le théâtre dans l'été de 1748.