<124>Sa cour était comme une grande rivière qui absorbe l'eau de tous les petits ruisseaux : ses favoris regorgeaient de ses libéralités, et ses profusions coûtaient chaque jour des sommes immenses, tandis que la Prusse et la Lithuanie étaient abandonnées à la famine et à la contagion, sans que ce monarque généreux daignât les secourir : un prince avare est pour ses peuples comme un médecin qui laisse étouffer un malade dans son sang; le prodigue est comme celui qui le tue à force de le saigner.

Frédéric Ier n'eut jamais d'inclinations constantes, soit qu'il se repentît de son mauvais choix, soit qu'il n'eût point d'indulgence pour les faiblesses humaines : depuis le baron de Danckelman jusqu'au comte de Wartenberg, ses favoris eurent tous une fin malheureuse.

Son esprit faible et superstitieux avait un attachement singulier pour le calvinisme, auquel il aurait voulu ramener toutes les autres religions : il est à croire qu'il aurait été persécuteur, si les prêtres se fussent avisés de joindre des cérémonies aux persécutions; il composa un livre de prières, que pour son honneur on n'imprima pas.a

Si Frédéric Ier est digne de louange, c'est pour avoir toujours conservé ses États en paix, tandis que ceux de ses voisins étaient ravagés par la guerre; pour avoir eu le cœur naturellement bon, et, si l'on veut, pour n'avoir pas donné d'atteintes à la vertu conjugale : enfin il était grand dans les petites choses, et petit dans les grandes; et son malheur a voulu qu'il fût placé dans l'histoire entre un père et un fils dont les talents supérieurs le font éclipser.


a On ne connaît aucun livre de prières composé par Frédéric Ier; il existe seulement une pièce détachée, qui a pour titre : Ein Königliches Gebet, welches Seine Königliche Majestät Friedrich, der erste christliche König in Preussen, am dritten Tage nach Dero Krönung und Salbung selbst gemacht, und eigenhändig aufgesetzt, auf allergnädigsten Befehl wieder aufgeleget. (Prière royale, que sa majesté royale Frédéric, premier roi chrétien de Prusse, a composée lui-même trois jours après son couronnement et son sacre, et écrite de sa propre main; publiée de nouveau par son très-gracieux commandement.) 1708, 14 pages in-8.