<81> ne sais cependant si le Grand Seigneur n'est pas exposé plutôt à être détrôné qu'un roi de France. La différence qu'il y a entre eux, c'est qu'un empereur turc est ordinairement étranglé par les janissaires, et que les rois de France qui ont péri ont été assassinés par des moines, ou par des monstres que des moines avaient formés. Mais Machiavel parle plutôt, en ce chapitre, de révolutions générales que de cas particuliers; il a deviné à la vérité quelques ressorts d'une machine très-composée, mais il me semble qu'il n'a pas examiné les principaux.

La différence des climats, des aliments et de l'éducation des hommes établit une différence totale entre leur façon de vivre et de penser; de là vient la différence d'un moine italien et d'un Chinois lettré. Le tempérament d'un Anglais profond, mais hypocondre, est tout à fait différent du courage orgueilleux d'un Espagnol; et un Français se trouve avoir aussi peu de ressemblance avec un Hollandais que la vivacité d'un singe en a avec le flegme d'une tortue.

On a remarqué de tout temps que le génie des peuples orientaux était un esprit de constance pour leurs pratiques et leurs anciennes coutumes, dont ils ne se départent presque jamais. Leur religion, différente de celle des Européens, les oblige encore en quelque façon à ne point favoriser l'entreprise de ceux qu'ils appellent les infidèles, au préjudice de leurs maîtres, et d'éviter avec soin tout ce qui pourrait porter atteinte à leur religion et bouleverser leurs gouvernements. Voilà ce qui, chez eux, fait la sûreté du trône plutôt que celle du monarque; car ce monarque est souvent détrôné, mais l'empire n'est jamais détruit.

Le génie de la nation française, tout différent des Musulmans, fut tout à fait ou du moins en partie cause des fréquentes révolutions de ce royaume : la légèreté et l'inconstance a fait le caractère de cette