<158> guerre dans ce duché; ajoutez à cela que l'on consommait en Bohème les subsistances de l'ennemi, et qu'en Silésie on aurait consumé les siennes. Mais nous laissons au lecteur la liberté de peser ces raisons et d'en juger. On ne peut attribuer le gain de cette bataille qu'au terrain étroit par lequel le prince de Lorraine vint attaquer le Roi : ce terrain ôtait à l'ennemi l'avantage de la supériorité du nombre. Les Prussiens purent lui opposer un front aussi large que celui qu'il leur présentait. La multitude des soldats devenait inutile au prince de Lorraine, parce que ses trois lignes, presque sans distance, pressées les unes sur les autres, n'avaient pas la facilité de combattre, et que la confusion s'y mettant une fois, elle rendait le mal irrémédiable. Mais la fortune de la Prusse consista dans la valeur des troupes, qui répara les fautes de leur chef, et punit les ennemis des leurs.

Pendant que les deux armées étaient engagées ensemble, les hussards impériaux pillaient le camp prussien, la gauche et le centre n'ayant pas eu le temps d'abattre les tentes. Nadasdy et Trenck s'en prévalurent; le Roi et beaucoup d'officiers y perdirent tous leurs équipages; les secrétairesa du Roi furent même pris, et ils eurent la présence d'esprit de déchirer tous leurs papiers. Mais comment penser à ces bagatelles, lorsque l'esprit est occupé des plus grands objets d'intérêt, devant lesquels tous les autres doivent se taire, de la gloire et du salut de l'État? M. de Lehwaldt, attiré par le bruit du combat, vint encore à temps pour sauver les équipages de la droite, et mettre fin aux cruautés affreuses que ces troupes de Hongrois effrénés et sans discipline exerçaient sur quelques malades et sur des femmes qui étaient restées dans le camp. De telles actions révoltent l'humanité, et couvrent d'infamie ceux qui les font ou qui les tolèrent. Il faut dire à la louange du soldat prussien, qu'il est vaillant sans être cruel,


a D'après les lettres de Frédéric à Fredersdorff (Friedrich's II. eigenhändige Briefe an seinen geheimen Kammerer Fredersdorff, Leipzig, 1834, p. 7), les deux conseillers de Cabinet Eichel et Müller furent faits prisonniers par hasard près de Soor.