<119>Le Margrave donna dans cette journée des marques de valeur dignes du sang de son grand-père l'électeur Frédéric-Guillaume. Le général de Schwerin,a qui chargea à la tête de cette cavalerie qui défit tout de suite trois corps différents, s'acquit une réputation d'autant plus éclatante, qu'elle servit d'époque à celle de la cavalerie prussienne. C'est une chose étonnante que la promptitude avec laquelle l'audace ou la terreur se communiquent à la multitude. L'année 1741, la cavalerie des Prussiens était le corps le plus lourd, le plus pesant et en même temps le moins animé qu'il y eût dans les armées européennes; en l'exerçant, en lui donnant de l'adresse, de la vivacité, et de la confiance dans ses propres forces, il en fit l'essai : il réussit, et il devint audacieux. Les peines, les récompenses, le blâme et la louange, employés à propos, changent l'esprit des hommes, et leur inspirent des sentiments dont on les aurait crus peu susceptibles dans l'état abruti de leur nature; joignez à cela quelques grands exemples de valeur qui les frappent, comme celui que nous venons de rapporter : alors l'émulation gagne les esprits, l'un veut l'emporter sur l'autre, et des hommes ordinaires deviennent des héros. Les talents sont souvent engourdis par une espèce de léthargie : des secousses fortes les réveillent, et ils s'évertuent et se développent. Le mérite estimé et récompensé excite l'amour-propre de ceux qui en sont les témoins : dans l'ancienne Rome, les couronnes civiques et murales, et surtout les triomphes, aiguillonnaient ceux qui pouvaient prétendre à les obtenir. Il était donc nécessaire d'exalter dans l'armée la glorieuse action de Jägerndorf. Le Margrave, le général Schwerin et ceux qui s'y étaient signalés, furent reçus comme en triomphe : la cavalerie attendait avec impatience l'occasion d'égaler, même de surpasser ces héros; tous brûlaient de l'ardeur de combattre et de vaincre.


a Reimar-Jules de Schwerin, général-major, et depuis 1749 chef du régiment de dragons de Louis de Würtemberg.