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V. DES MARCHES D'ARMÉE, ET DE CE QU'IL FAUT OBSERVER A CET ÉGARD.[Titelblatt]

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DES MARCHES D'ARMÉE, ET DE CE QU'IL FAIT OBSERVER A CET ÉGARD.

DE CE QU'IL FAUT OBSERVER POUR LES MARCHES D'UNE ARMÉE.

Vous voulez savoir quels principes il faut suivre pour bien régler les marches des armées. Cette matière est très-étendue, et demande par conséquent une infinité de détails, à savoir : selon le but qu'on se propose en marchant, selon la nature du pays où l'on fait la guerre, selon l'éloignement ou la proximité de l'ennemi, selon la saison où l'on fait ses opérations; il y a marche en cantonnements, il y a marche en colonnes, marches de nuit, marches de jour, mouvements d'armée, ou mouvements de corps détachés. Chacun de ces genres demande des attentions différentes. La chose essentielle pour bien régler ces marches, c'est d'avoir une connaissance aussi étendue et aussi exacte que possible du pays où l'on veut agir, parce que l'homme habile, le guerrier entendu fait ses dispositions selon le terrain; il faut qu'il les assujettisse au local, car jamais le terrain ne se pliera à des dispositions qui ne lui sont pas convenables. Cette connaissance<110> est donc la base de tout ce que l'on peut entreprendre à la guerre; sans elle, le hasard décide de tout. Pour traiter cette matière avec quelque ordre, je suivrai, dans cet essai, le train ordinaire des marches qui se font en campagne.

Après la déclaration de guerre entre les puissances belligérantes, chacun rassemble ses troupes pour former des armées, et cette réunion se fait par marches de cantonnements.

DES MARCHES EN CANTONNEMENT.

Ire RÈGLE. On ruine les troupes qui sortent d'un long repos, si on leur fait faire du commencement des marches trop fortes. Elles ne doivent faire tout au plus, les premiers jours, que trois milles d'Allemagne.

II. On forme des colonnes des troupes de différentes provinces, qui marchent en large autant que possible, pour que chaque bataillon ou chaque régiment puisse avoir son village ou sa petite ville pour pernocter. Il faut connaître la force des villages pour faire, selon leurs habitations, la distribution des troupes. Si ces marches se font au printemps ou avant la récolte, on se sert des granges pour y mettre les soldats, et alors un village médiocre peut sans difficulté contenir un bataillon. Après trois jours de marche, il faut un jour de repos.

III. Dès que l'on entre en pays ennemi, il faut que d'abord le général forme une avant-garde qui campe, et qu'il pousse en avant pour qu'elle précède d'une marche l'armée, pour lui donner des nouvelles de tout, et que, au cas que l'ennemi soit rassemblé, il ait le temps de réunir ses troupes pour les former en corps d'armée.

IV. Si l'on est éloigné de l'ennemi, l'on peut continuer de cantonner, mais en resserrant les troupes de plus près, en les canton<111>nant par lignes et en ordre de bataille. A trois marches de l'ennemi, il faut camper dans les règles et marcher dans l'ordre accoutumé.

V. On risquerait trop en se séparant; l'ennemi profiterait de cette négligence, tomberait sur vos troupes, vous enlèverait des quartiers, et peut-être, s'il agissait avec vivacité, il pourrait vous battre en détail et, du commencement de la campagne, vous obliger à prendre honteusement la fuite, ce qui perdrait entièrement vos affaires.

DE CE QU'ON DOIT OBSERVER DANS LES MARCHES QU'ON FAIT EN AVANT.

Ire RÈGLE. Le général doit avoir un projet arrêté de ses opérations; il aura donc désigné un endroit avantageux où il veut s'avancer pour prendre son camp. Il faut alors qu'on fasse reconnaître tous les chemins pour régler les colonnes; mais on ne fera pas plus de colonnes que de chemins qui aboutissent dans le nouveau camp que l'on veut prendre, car ces chemins que l'on est obligé de quitter pour que cette colonne aille serrer la queue d'une autre ne font point gagner de temps, et donnent lieu à la confusion.

II. On évitera surtout de détourner les villages, pour qu'aucune colonne n'y passe, à moins que des marais n'empêchent absolument de prendre d'autres chemins, ou que des ponts se trouvassent dans ces villages qu'il faut nécessairement passer. Si c'est un pays de plaine, l'armée pourra marcher sur huit colonnes, deux de cavalerie aux ailes, et six d'infanterie au centre.

III. L'armée doit toujours être précédée d'une bonne avant-garde, plus forte en cavalerie, si c'est un terrain uni, plus forte en infanterie, si c'est un terrain coupé. Cette avant-garde doit précéder l'armée d'un quart de mille, pour l'avertir de tout, et pour fouiller et nettoyer le terrain par où elle doit passer.

<112>IV. Le bagage doit être à la suite de l'armée, distribué en parties égales derrière les six colonnes d'infanterie, et l'arrière-garde doit le couvrir en suivant les colonnes de cavalerie et en laissant un corps qui suit les équipages.

Ces règles sont les ordinaires, que l'on pratique généralement dans les grands mouvements des armées.

DES CAMPEMENTS VIS-A-VIS DE L'ENNEMI, OU L'ON MARCHE PAR SA DROITE OU PAR SA GAUCHE.

Les marches qui se font proche de l'ennemi sont les plus difficiles, et demandent le plus de précaution; car, en supposant qu'un ennemi actif voulût profiter du décampement, il faut tout prévoir, pour n'être pas battu en marche. Nous traiterons premièrement des marches qui se font par la droite ou par la gauche.

Ire RÈGLE. On doit, avant de les entreprendre, envoyer des officiers du quartier général reconnaître les lieux et les chemins avec de petites patrouilles, ainsi que le camp qu'on veut prendre, le nombre des colonnes dont on pourra faire usage, et surtout les postes qu'on pourra occuper en marche, supposé que l'ennemi vienne attaquer l'armée. C'est sur ces notions bien exactement détaillées que la disposition doit se faire.

II. On renverra en arrière le gros bagage d'avance, à deux milles derrière le camp qu'on voudra prendre. Ce bagage doit marcher sur autant de colonnes que le terrain en pourra fournir. Supposons donc qu'on veuille prendre une position vers la gauche de l'ennemi.

III. Dès lors on doit envoyer la veille de la marche, dès qu'il fait obscur, pour occuper les endroits les plus considérables, postes que l'on pourrait prendre en marche, en cas que l'on fût attaqué. Ces corps doivent s'y former selon les règles, et ne les abandonner que <113>lorsque 1 armée les a passés. Ils seront donc tous mis sur la droite, entre l'ennemi et les colonnes dont ils font l'arrière-garde, si tout se passe tranquillement.

IV. Quelque quantité de chemins qu'il y ait, l'armée ne marchera que sur deux lignes par la gauche; et tout ce qu'on pourra trouver de chemins, d'ailleurs, sur la gauche seront pour le menu bagage et les chevaux de bât. On met tous ces chevaux de côté en pareille occasion, pour se dégager de cet embarras, qui pourrait donner lieu à la confusion, au cas que l'armée fût obligée de combattre.

V. Si l'ennemi veut engager une affaire, la première ligne va d'abord occuper le poste où se tiennent les détachements qui la couvrent : la seconde ligne les suit; tout se forme. La cavalerie se trouve sur les ailes, où l'on peut la laisser ou, selon les occurrences, en former une troisième ligne. Les corps détachés forment des réserves, ou sont placés sur les flancs de l'armée ou derrière la seconde ligne, soit vers la droite, soit vers la gauche, à l'endroit où l'on juge qu'on en pourra avoir besoin. Dès lors on se trouve dans une situation à ne rien craindre de l'ennemi, et à pouvoir même remporter une victoire sur lui. Si rien n'interrompt la marche, ces corps détachés forment ensuite l'arrière-garde, les troupes entrent dans leur camp, et l'on y fait venir le gros bagage avec sûreté. La même chose doit s'observer si l'on marche par sa droite.

D'UNE MARCHE EN ARRIÈRE, EN PRÉSENCE DE L'ENNEMI.

Ire RÈGLE. Si l'on veut se retirer de devant l'ennemi, voici ce qu'il faut observer : se débarrasser d'avance de tout le gros bagage, que l'on envoie en arrière, dans le camp que l'on veut prendre. Il faut que tout cela parte de bonne heure, pour déblayer le chemin des co<114>lonnes, afin que les troupes ne trouvent aucun empêchement dans leur marche.

II. Si l'on craint que l'ennemi ne veuille engager une affaire d'arrière-garde, il faut faire autant de colonnes que possible, pour que l'armée sorte en masse de son camp, et que par sa vitesse elle empêche l'ennemi de l'atteindre. Quand même alors, dans la suite de la marche, deux colonnes seraient obligées de se rejoindre en certain lieu, il ne faudrait y faire aucune attention, parce que la chose principale est de s'éloigner vite pour éviter tout engagement.

III. L'armée formera une grosse arrière-garde, qui sera placée de façon qu'elle puisse couvrir la marche des colonnes. On peut même décamper avant jour, pour qu'à l'aube l'arrière-garde même soit déjà éloignée du camp. Il faut que quelques bataillons et quelques escadrons des queues des colonnes soient destinés à se former, soit derrière des défilés, soit sur des hauteurs, soit auprès des forêts, pour protéger l'arrière-garde et assurer sa retraite. Ces précautions ralentissent bien la marche, mais elles en procurent la sûreté. Si le prince d'Orange avait suivi cette méthode lorsqu'il se retira de Seneffe, il n'aurait pas été battu par le prince de Condé. Cela nous apprend à ne nous jamais écarter des règles et à les suivre à la rigueur dans toutes les occasions, pour être sûrs de n'être pas pris au dépourvu.

IV. Si l'ennemi attaque vivement l'arrière-garde, l'armée doit faire halte et, s'il est nécessaire même, prendre une position pour soutenir et retirer à soi cette arrière-garde, si elle se trouvait avoir besoin d'une telle assistance. Si rien ne l'inquiète, l'armée poursuit son chemin, et va se camper à l'endroit qui lui a été marqué.

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DES MARCHES POUR ATTAQUER UN ENNEMI.

La première chose à laquelle il faut faire réflexion, c'est la position de l'ennemi. La disposition de l'attaque doit avoir été faite après avoir reconnu la situation de son camp et de sa défense. L'ordre de la marche doit être réglé sur le projet qu'on a de former ses attaques, et sur l'aile avec laquelle on se propose d'agir, et sur celle qu'on veut refuser. Le gros bagage doit avoir été d'avance renvoyé en arrière pour se défaire de cet embarras, et le menu bagage doit suivre l'armée, couvert d'une légère escorte, si l'on ne peut le laisser dans le camp, ce qui vaudrait mieux. Si le camp de l'ennemi est situé de façon que pour l'attaquer il faille marcher par la droite ou par la gauche, votre armée ne doit former que trois colonnes, l'une de la première ligne, l'autre de la seconde ligne, et la troisième de la réserve; les chevaux de bât feront la quatrième et la cinquième. S'il faut s'avancer tout droit contre l'endroit que vous voulez attaquer, vous aurez une forte avant-garde, qui ne précédera l'armée que d'un petit quart de mille. Vous vous formerez sur autant de colonnes que vous avez de routes qui arrivent sur les lieux où vous voudrez vous former; les aides-majors, ayant marqué les distances, pourront se former selon la disposition que le général aura donnée pour l'attaque. Si vous battez l'ennemi, vous n'avez pas besoin de chemins préparés pour la poursuite; vous n'avez qu'à le suivre par les chemins que sa fuite vous indique. Si vous êtes repoussé, n'ayant attaqué qu'avec une aile, l'autre aile, qui est encore entière, doit couvrir la retraite et servir d'arrière-garde, et vous pouvez retourner à votre ancien camp par les mêmes routes qui vous ont mené à l'ennemi.

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DES MARCHES DE NUIT.

Si la situation et les conjonctures où vous vous trouvez exigent que vous fassiez une marche de nuit, voici les choses principales qu'il faut observer.

Ire RÈGLE. Faire bien reconnaître les chemins d'avance par ceux qui doivent mener les colonnes, pour les empêcher île s'égarer dans l'obscurité, et surtout pour qu'il n'arrive pas que les colonnes se croisent, ce qui pourrait donner lieu à la plus grande confusion.

II. Envoyer de temps en temps des aides de camp d'une colonne à l'autre, pour s'avertir réciproquement.

III. Ensuite se placer dans la nouvelle position le mieux que l'on peut, en observant, autant que la nuit le permet, le terrain et les avantages qu'on en peut tirer.

IV. Pour que l'ennemi ne s'aperçoive pas du décampement, on laisse dans le camp qu'on quitte les feux allumés, et quelques hussards qui crient, Qui vive? et qui se retirent tous à un signal convenu, qu'on leur donne lorsque l'armée est à l'abri d'être attaquée.

DES MARCHES DE NUIT POUR DES SURPRISES.

Il arrive quelquefois que, pour couvrir ses derrières, l'ennemi hasarde des détachements, soit sur sa droite, ou sur sa gauche, qu'il peut être important de détruire pour exécuter par ce début de plus grands projets. Si l'on veut surprendre ces corps, il faut sans doute y marcher de nuit, et voici ce qu'il faut observer :

De n'y pas marcher sur trop de colonnes, crainte de confusion. De n'avoir devant chaque colonne qu'une vingtaine de hussards, sim<117>plement pour avertir. D'observer le plus grand silence en chemin. Dès qu'on donne sur les troupes légères qui sont en avant, de tout brusquer, de hâter même le pas pour arriver promptement sur le corps principal qu'on s'est proposé de défaire. De ne connaître en ce moment que l'audace, parce que le succès dépend de la promptitude de l'exécution, et qu'il faut avoir achevé sa besogne avant que l'armée de l'ennemi puisse arriver pour secourir ce corps détaché. Si le coup manque, il faut se retirer tout de suite ou vers un bois, ou par quelque terrain difficile, à l'abri duquel vous puissiez regagner le gros de votre armée. Dans une pareille échauffourée, il faut tout détruire sur la place, mais se bien garder de la poursuite, parce que ce corps battu doit s'attendre à des secours de l'armée principale, et que l'on pourrait perdre, en poursuivant trop chaudement, ce qu'on a gagné par la surprise de ce corps.

DES MARCHES DANS LES PAYS MONTUEUX.

On trouve peu de chemins dans les pays chargés de montagnes. On est heureux si pour chaque marche on en trouve trois, dont deux sont pour les colonnes, le troisième pour le bagage. S'il n'y en a que deux, le bagage partagé suit ces deux colonnes, couvert d'une bonne arrière-garde. En supposant donc qu'il n'y a que deux chemins, chaque colonne doit être précédée de son avant-garde, qui doit être composée en grande partie d'infanterie, et de quelques centaines de hussards pour battre l'estrade. Si l'on n'est qu'à deux marches de l'ennemi, il faut que la marche se fasse sans la moindre négligence, et toujours en règle, s'entend, l'avant-garde, si elle trouve des défilés, doit garnir les hauteurs des deux côtés jusqu'à l'arrivée de l'armée, et alors reprendre les devants pour couvrir par sa position les nouveaux défilés qui se trouvent sur les chemins, ou garnir les hau<118>teurs d'où l'ennemi, s'il s'en emparait le premier, pourrait incommoder la marche. L'infanterie doit avoir des patrouilles d'infanterie qui la convoient, et dont les petits détachements tiennent toujours la crête des hauteurs. Ces précautions assurent la marche, et si l'on ne se relâche pas là-dessus, elles mettent l'ennemi dans l'impossibilité de rien entreprendre. Si l'on peut, l'avant-garde et l'arrière-garde doivent se changer tous les jours, pour ne pas trop fatiguer les troupes. Il faut de même, s'il y a des bois près des chemins où les colonnes passent, d'avance y poster de l'infanterie, pour prévenir l'ennemi et occuper avant lui tous les lieux avantageux d'où il pourrait inquiéter la marche des troupes. Si l'ennemi est plus éloigné, l'on marche, s'entend avec les avant-gardes et les arrière-gardes; mais l'on ne fatigue pas les troupes à occuper des postes où l'on est sûr que personne ne peut venir.

DES RETRAITES DANS LES MONTAGNES.

Les montagnes fournissent de grands secours à ceux qui sont obligés de se retirer, parce que partout on y trouve des postes; cela fait même que l'arrière-garde peut toujours se replier sur des troupes bien postées pour la soutenir. Dans ces occasions, il faut profiter du moindre monticule, afin que l'arrière-garde se retire toujours sur des corps qui la protègent, jusqu'autant que l'on gagne un bon défilé, qu'on occupe selon la méthode que j'en ai donnée, et qui, barrant l'ennemi, l'empêche de poursuivre plus loin. C'est la cavalerie qui dans ces cas embarrasse le plus; on doit tâcher, dans de pareils terrains, à lui faire toujours passer les défilés avant l'infanterie, pour lui procurer de la sûreté dans un genre de pays où elle ne peut agir. Je ne répète point ce que j'ai déjà dit, que dans toutes les retraites le bagage doit avoir pris les devants. C'en est bien assez que l'armée se <119>soutienne contre l'ennemi dans ces sortes de manœuvres, sans qu'elle ait encore l'embarras des chariots dans des chemins creux et dans des défilés, où elle doit pouvoir agir lestement et sans contrainte.

DES MARCHES SUR DES DIGUES PAR DES PAYS MARÉCAGEUX.

La Hollande et la Flandre qui avoisine plus à l'Océan sont les pays qui fournissent le plus de ces sortes de digues. Nous en avons quelques-unes le long de l'Oder et de la Warthe; il y en a beaucoup en Lombardie, et qui sont bordées ou coupées par des navilles. Dans les pays de cette espèce, une armée ne peut marcher que sur le nombre de digues qui aboutissent à l'endroit où elle veut se rendre. Le maréchal de Saxe,119-a lorsqu'il quitta les environs de Malines et d'Anvers pour diriger sa marche par Tongres sur Mastricht, fut obligé de se servir de la grande chaussée, où toute son armée marcha sur une colonne pour aller se battre avec les alliés à Laeffelt; mais le corps de M. d'Estrées était à Tongres, qui couvrait sa marche et tenait le débouché de la chaussée. Dans des cas semblables, il faut se contenter des chaussées que l'on trouve sous sa main. Le général doit avoir une petite avant-garde d'infanterie devant chaque colonne, pour être averti des mouvements de l'ennemi et de son approche. Il faut qu'à la tête de chaque colonne il ait quelques ponts de colonne, pour pouvoir, en cas que l'ennemi approche, les jeter sur les navilles qui bordent la digue, et lui présenter un front capable de pouvoir repousser son attaque. Dans ces sortes de terrains, où la cavalerie est entièrement inutile, elle doit suivre les colonnes d'infanterie, parce qu'on ne peut l'employer que lorsque, sorti de ces chaussées, on arrive dans un pays moins coupé. Si l'on peut prévoir que l'on aura de pareilles marches à faire, il faut de nécessité pousser un corps <120>au delà de ces chaussées, en avant, pour couvrir l'armée et l'empêcher d'être attaquée dans un terrain où difficilement elle pourrait combattre. S'il est possible d'éviter de pareilles digues, fût-ce même en faisant un détour de quelques milles, je conseillerais de prendre ce dernier parti; car, si l'ennemi est leste et entendu, et qu'il gagne la tête de ces chaussées, en y plaçant du canon, il peut enfiler vos colonnes et vous causer des pertes considérables, sans que dans ce terrain coupé vous puissiez vous revancher et rendre à cet ennemi le mal qu'il vous fait.

DES MARCHES DANS LES SAISONS DU PRINTEMPS ET DE L'AUTOMNE, OU LES CHEMINS SONT LE PLUS GATÉS.

Deux raisons obligent d'abréger les marches dans ces saisons : les mauvais chemins rompus et remplis de boue, et la courte durée des jours. Une armée ne peut faire que trois milles par jour. La peine de faire passer l'artillerie et le bagage par la fange absorbe un temps considérable, et l'on fatiguerait trop d'hommes et de chevaux, si l'on voulait faire de plus fortes traites. Si l'on trouve de meilleurs chemins, mais un peu plus détournés que ceux qui sont directs, il faut les choisir par préférence, et partager l'artillerie derrière la colonne qui passe sur le terrain le plus ferme. Si ce sont des détachements que l'on envoie, pour quelque dessein, à quelque distance de l'armée, on aura la prévoyance de ne leur point donner des pièces de douze livres; celles de six leur seront suffisantes; encore auront-ils bien de la peine à les traîner avec leur munition et tout l'attirail nécessaire.

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DES MARCHES QUI CACHENT UN DESSEIN QUI NE SE MANIFESTE QUE PAR LA JONCTION DE L'ARMÉE. A L'OUVERTURE DE LA CAMPAGNE.

Étudiez la marche que le maréchal de Saxe fit faire à son armée pour former, l'année 1746, l'investissement de Mastricht; repassez les manœuvres que le maréchal de Saxe fit faire à un corps de ses troupes pour assiéger Bruxelles; relisez les dispositions du maréchal de Turenne pour rassembler en Lorraine son armée, avec laquelle il fondit ensuite par Thann et Belfort sur l'Alsace, et chassa les alliés de Colmar;121-a suivez le prince Eugène dans sa marche vers Turin, où il attaqua et força les retranchements des Français. Quelque chose de moins parfait, mais dans ce genre, ce fut la marche de nos troupes, l'année 1757, de la Saxe, de la Lusace et de la Silésie, pour se joindre à Prague.121-b Ces sortes de projets veulent être étudiés et si bien combinés, que tout joue comme les ressorts d'une montre, et que, par les différents mouvements des troupes, l'ennemi ne puisse pas deviner quel est le véritable dessein du général qui agit. Pour former et pour exécuter de semblables desseins, il faut bien connaître le pays où l'on se propose d'opérer, combiner les marches des différents corps pour qu'aucun d'eux n'arrive ni trop tôt, ni trop tard, afin que ces mouvements si subits et si décisifs rendent l'ennemi confus et surpris, et lui fassent commettre des fautes. Il faut avouer qu'il peut arriver, avec quelque soin que l'on ait calculé ces marches, qu'une de ces colonnes rencontre un corps de l'ennemi, et soit obligée de s'engager avec lui, ce qui doit naturellement la retarder; mais ces sortes de cas fortuits sont imprévoyables, et ne renverseront pourtant jamais le <122>projet que l'on avait formé. Il est superflu de dire que ces sortes de marches, si c'est en été, doivent se faire en campant, et non en cantonnant.

DES MARCHES DE CORPS QUI VONT D'UNE ARMÉE A L'AUTRE POUR Y PORTER DES SECOURS.

Ces sortes de marches peuvent se faire en cantonnement, parce que l'armée que vous quittez vous couvre, parce que vous irez beaucoup plus vite en cantonnant qu'en marchant en colonne, parce que vous ménagerez vos subsistances. Des troupes qui marchent en colonne ne feront tout au plus que quatre milles par jour; celles qui vont par cantonnement en pourront faire cinq, et être moins fatiguées que les autres. Quand vous approchez de l'armée que vous voulez joindre, marchez en colonne, et campez, pour plus de sûreté, les deux dernières marches; et, s'il se peut, dérobez votre jonction à l'ennemi, afin qu'il soit plus surpris en l'apprenant, et que cela vous facilite le moyen de lui porter quelque coup décisif. Voilà comme nous avons fait toutes ces marches de jonction durant la dernière guerre.

DES MARCHES POUR ENTRER DANS LES QUARTIERS D'HIVER.

Lorsque la saison assez avancée ne permet plus de tenir la campagne, il faut penser à donner du repos aux troupes dans des quartiers d'hiver. On commence par régler le cordon qui doit couvrir ces quartiers, où l'on place le nombre de troupes destinées à cet emploi. Le reste de l'armée entre en cantonnement resserré par lignes; et à mesure que l'ennemi se retire en arrière, on en fait autant de <123>son côté, en élargissant les troupes à mesure qu'elles se retirent, et leur faisant, pour leur commodité, occuper plusieurs villages, jusqu'à ce qu'elles arrivent dans les quartiers qui leur sont destinés, où elles doivent être au large. Il y a une autre façon de prendre des quartiers avec les troupes, qui est de leur donner pour lieu de ralliement le point central de leurs quartiers, où ceux qui ont occupé les extrémités arrivent tous en même temps au lieu où l'on s'est proposé de former l'armée. Dans de telles dispositions, il faut que, en entrant dans les quartiers, chaque régiment ait la route qu'il doit tenir pour se joindre à sa brigade, et que chaque brigade, de même, ait sa route prescrite pour joindre l'armée par le plus court.

DES MARCHES ET DES CAMPAGNES D'HIVER.

Ces sortes d'expéditions demandent d'être exécutées avec beaucoup de prudence, ou l'on risque de voir abîmer son armée presque sans combattre. On fait ces campagnes d'hiver, soit pour prendre possession d'un pays où l'ennemi n'a pas beaucoup de troupes, soit pour tomber sur ses quartiers. De la première espèce furent nos campagnes de l'année 1740 et 1741, en Silésie et en Moravie. Nous marchâmes en Silésie en deux colonnes, l'une qui côtoyait les montagnes, l'autre qui longeait l'Oder pour nettoyer le pays, pour prendre ou, si on ne le pouvait, bloquer les forteresses; ce qui fut exécuté après qu'on eut réglé la marche de ces deux colonnes, qui, se trouvant toujours à même hauteur, pouvaient se donner des secours réciproquement. Les forteresses demeurèrent bloquées jusqu'au printemps; Glogau fut surpris; bientôt Breslau essuya le même sort; Brieg fut pris après la bataille de Mollwitz, et Neisse tomba à la fin de la campagne. Nous entrâmes, l'année 1741, sur une colonne en Moravie, qui s'empara d'Olmütz; on se contenta de bloquer Brünn, <124>que les Saxons devaient assiéger le printemps de 1742. Mais cette campagne fut dérangée par la retraite des Saxons et par l'inaction des Français. Nous quittâmes la Moravie, après avoir poussé en Autriche jusqu'à Stockerau,124-a et après avoir enlevé en Hongrie un corps d'insurgents que la cour voulait employer sur nos derrières. Ces sortes d'expéditions veulent qu'on emploie toute la vigilance possible pour ne point être surpris; par cette raison, nous eûmes constamment un corps devant le front des troupes, un autre sur la droite, un autre sur la gauche, dont les patrouilles nous avertissaient de tous les mouvements de l'ennemi. Avec cela, les cantonnements étaient resserrés; deux ou trois bataillons étaient dans la nécessité de se contenter d'un seul village, et leur bagage était parqué en dehors, défendu par une redoute; aussi ne nous arriva-t-il aucun accident. A la fin de l'année 1745, le prince de Lorraine entreprit une pareille expédition; c'était au mois de décembre qu'il voulut pénétrer de la Bohême dans le Brandebourg, en traversant la Lusace. Voici les fautes qu'il fit. 1o Il marcha sans avant-garde et sans cavalerie qui côtoyât la Silésie pour lui donner des nouvelles des Prussiens. 2o Il se chargea de trop de bagage. 3o Ses cantonnements occupaient un front de trois milles de largeur et de trois milles de profondeur, parce que les troupes n'étaient pas assez resserrées, comme elles devaient l'être; il fallait plus penser à leur sûreté qu'à leur commodité. 4o Étant près de nos frontières, il ne formait ni colonnes, ni ordre de marche. Nous en profitâmes comme de raison, et, en passant le Queis,124-b nous tombâmes sur ses quartiers à Catholisch-Hennersdorf, et lui enlevâmes quatre mille hommes. Notre armée campa sur les lieux, et le prince Charles, qui risquait d'être pris à dos, fut obligé de se retirer en Bohême d'un pas qui ressemblait plutôt à une fuite qu'à une retraite; il y perdit son bagage et une vingtaine de canons.

<125>L'expédition du maréchal de Saxe sur Bruxelles se fit au mois de mars. Il tomba sur les quartiers des alliés, les dispersa, et entreprit le siége de Bruxelles, qu'il prit. Il fit camper la plupart de ses troupes, et il ne négligea pas d'avoir de gros détachements entre lui et l'ennemi, pour être averti à temps du moindre de ses mouvements. Tant il est vrai que tout général qui ne s'écarte pas des maximes de la prudence et de la prévoyance doit réussir presque toujours, et que des entreprises étourdies ne peuvent avoir de succès que par le plus grand des hasards, parce que d'ordinaire l'imprudent périt où le sage prospère.125-a

A la fin de l'année 1744,125-b lorsque le prince d'Anhalt chassa les Autrichiens de la Haute-Silésie, le froid était excessif; mais cela ne l'empêcha pas qu'il ne rassemblât tous les matins l'armée en ordre de bataille, ne marchât en colonne pour combattre, et que par sa prudence et ses bonnes précautions il obligeât non seulement l'ennemi de vider la province, mais encore il ruinât une partie de leurs troupes, et établît ses quartiers d'hiver dans les lieux mêmes qu'ils avaient occupés.

COMMENT CES DIFFÉRENTES MARCHES DOIVENT SE RÉGLER.

Le plan de ce que le général veut entreprendre est la base sur laquelle les dispositions doivent être réglées. Quand on est dans son propre pays, on a tous les secours possibles, tant des cartes détaillées que des habitants, qui peuvent vous donner toutes les notions nécessaires; alors l'ouvrage devient facile. Vous avez votre ordre de bataille. Si l'on marche en cantonnements, vous suivez cet ordre, et vous placez chaque brigade le plus près qu'il se peut ensemble, chaque <126>ligne dans les règles. Si l'on est loin de l'ennemi, chaque régiment doit avoir la route qu'il doit faire, et le général de brigade non seulement la route de ses régiments, mais encore la liste des villages où ils doivent cantonner. Dans le pays ennemi, cela devient plus difficile. On n'a pas toujours des cartes assez détaillées du pays; on ne connaît qu'imparfaitement la force des villages. Ainsi, pour rectifier ce qu'il y a de défectueux, il faut que l'avant-garde rassemble des gens des villes, des bourgs et des hameaux, pour les envoyer au quartier-maître général, afin qu'il rectifie par leur moyen le brouillon de disposition de marche qu'il a dressé sur la simple inspection de la carte. Si l'armée campe, il faut, aussitôt qu'on est entré dans le camp, faire reconnaître tous les chemins qui y aboutissent. Si l'on séjourne, il faut, à l'aide des patrouilles, envoyer des quartiers-maîtres et des dessinateurs pour croquer les chemins et les situations, afin qu'on n'agisse pas en aveugle, et qu'on se procure d'avance toutes les notions dont on a besoin. C'est ainsi qu'on peut de même faire reconnaître d'avance les camps où l'on pourrait avoir occasion de placer l'armée. On peut même, à l'aide de ces croquis, dessiner d'avance la position que l'on veut prendre, quitte à la rectifier par l'inspection oculaire, comme je l'ai enseigné dans mon Traité de la guerre et de la tactique.126-a Il est vrai que lorsque les armées sont placées proche les unes des autres, ces reconnaissances deviennent plus difficiles, parce que l'ennemi a également des détachements et des troupes légères en campagne, qui empêchent de se porter sur les lieux qu'on veut reconnaître. Souvent l'on veut cacher son dessein, ce qui rend ces petites expéditions encore plus difficiles. Alors il ne reste de parti à prendre que de pousser l'ennemi à différents endroits à la fois, et de faire même dessiner des lieux où l'on n'a aucune envie d'aller, pour lui cacher son dessein; et comme on le chasse de différents postes, les meilleurs quartiers-maîtres doivent être employés<127> vers le lieu où l'on a sérieusement intention d'agir; car l'homme sage ne donnera jamais au hasard ce qu'il peut lui ravir avec la prudence. Surtout un général ne doit jamais mouvoir son armée sans être bien instruit du lieu où il la conduit, et comment il la fera arriver en sûreté sur le terrain où il veut exécuter son projet.

DES PRÉCAUTIONS QU'IL FAUT PRENDRE EN PAYS ENNEMI POUR SE PROCURER ET S'ASSURER DES GUIDES.

L'année 1760, en traversant la Lusace pour marcher en Silésie, nous eûmes besoin de guides. On en chercha dans des villages vandales,127-a et lorsqu'on les amena, ils faisaient semblant de ne pas savoir l'allemand, ce qui nous embarrassait fort; on s'avisa de les frapper, et ils parlèrent allemand comme des perroquets. Il faut donc toujours être sur ses gardes à l'égard de ces guides qu'on prend en pays ennemi; bien loin de se fier à eux, il faut lier ceux qui conduisent les troupes, leur promettre une récompense s'ils vous mènent par le meilleur chemin et le plus court à l'endroit où l'on veut se rendre, mais aussi leur assurer qu'on les pendra sans pardon, s'il leur arrive de vous égarer. Ce n'est qu'avec sévérité et avec force qu'on peut obliger les Moraves et les Bohémiens à s'acquitter de ces sortes d'offices. On trouve, dans ces provinces, des habitants dans les villes; mais les villages sont déserts, parce que les paysans se sauvent, avec leur bétail et leurs meilleurs effets, dans les forêts ou dans le fond des montagnes, et laissent leurs habitations vides. Leur désertion cause un très-grand embarras. D'où prendre les guides, si ce n'est d'un village à un autre? Il faut alors recourir aux villes, tâcher de trouver quelques postillons ou, à leur défaut, des bouchers qui rôdent les <128>campagnes, et auxquels les chemins sont connus; il faut de plus obliger les bourgmestres de vous fournir des guides, sous peine de brûler les villes, s'ils ne s'en acquittent pas bien. On peut encore recourir aux chasseurs qui sont au service de la noblesse, et auxquels les environs sont connus. Mais, de quelque espèce que soit le genre des guides, il faut les contenir par la peur, et leur annoncer les traitements les plus rigoureux, s'ils s'acquittent mal de leur commission. Il est encore un moyen plus sûr de se procurer la connaissance du pays : c'est d'engager, en temps de paix, quelques-uns de ses habitants qui en aient une intelligence entière; ceux-là sont sûrs, et par leur moyen l'on peut gagner, en entrant dans cette province, d'autres gens qui facilitent et vous allégent la besogne par le détail du local dont ils vous procurent les connaissances. Les cartes, pour l'ordinaire, sont assez exactes pour les terrains de plaines, quoiqu'on y remarque souvent l'omission de quelque village ou de quelque hameau; mais la connaissance qui importe le plus est celle des bois, des défilés, des montagnes, des ruisseaux guéables ou marécageux, des rivières guéables; et c'est cependant ce dont il faut nécessairement être le mieux au fait, ainsi que des terrains qui ne sont que prairies, et de ceux qui sont marécageux. Il faut encore distinguer en cela les saisons de l'année, qui changent par leur sécheresse ou par leur humidité la nature de ces terrains; car il est souvent capital de ne pas se tromper sur ces connaissances. Les quartiers-maîtres doivent encore se prémunir contre la déposition des gens du commun; quelquefois même, étant de bonne foi, ils vous trompent par ignorance, parce qu'ils ne jugent des chemins et des lieux que par l'usage qu'ils en font, et que, manquant entièrement de connaissances militaires, ils ignorent l'emploi qu'un guerrier peut faire du terrain. En 1745, lorsque après la bataille de Soor l'armée prussienne voulut se retirer en Silésie, je fis venir des gens de Trautenau et de Schatzlar, pour les interroger sur les chemins où je voulais faire passer les colonnes.<129> Ils me dirent bonnement que ces chemins étaient admirables, et qu'ils y passaient à merveille avec leurs voitures, et que beaucoup de rouliers les passaient de même. Peu de jours après, l'armée fit cette marche. Je fus obligé de faire mes dispositions pour la retraite sur ces lieux. Noire arrière-garde fut vivement attaquée; mais, par les précautions que je pris, nous ne perdîmes rien. Ces chemins, militairement parlant, étaient très-mauvais; mais ceux auxquels je m'en informai n'y entendaient rien, et ce qu'ils me dirent était de bonne foi et sans intention de me tromper. Il ne faut donc pas se fier au rapport des ignorants, mais, ayant la carte à la main, les consulter sur chaque forme de terrain, s'en faire des notes, et voir sur cela s'il y a moyen de croquer quelque chose, sur le papier, qui donne une idée plus exacte du chemin que celle que présente la carte.

DES TALENTS QUE DOIT AVOIR UN QUARTIER-MAITRE.

Le défaut par lequel les hommes pèchent le plus, c'est de se contenter d'idées vagues, et de ne point s'appliquer assez pour se former des idées nettes des choses auxquelles ils sont employés. Par exemple, plus on a une connaissance spéciale du terrain où l'on doit agir, mieux on choisit les lieux propres au campement, et l'on arrange la marche des colonnes avec beaucoup plus d'exactitude que si l'on n'a que des idées confuses du terrain sur lequel on doit agir. Pour obvier à cet inconvénient, il faut se procurer les meilleures cartes que l'on puisse avoir des pays où l'on croit que se pourra faire la guerre. Si l'on peut faire des voyages sous d'autres prétextes, pour examiner les montagnes, les bois, les défilés et les passages difficiles, pour les bien observer et s'en imprimer la situation, il faut les entreprendre. Il est nécessaire qu'un gentilhomme qui se dévoue à ce métier ait beaucoup d'activité naturelle, pour que le travail ne lui coûte pas. <130>Dans chaque camp, il doit s'offrir lui-même à reconnaître les environs, par le moyen de petites patrouilles, aussi loin que l'ennemi voudra le permettre, afin que si le général qui commande l'armée a résolu de faire un mouvement, les chemins et les contrées lui soient connus autant que possible, qu'il ait observé les endroits propres à camper les troupes, et que, par son application à son métier, il facilite an général les grandes opérations qu'il a projetées, tant pour les marches que pour les campements. Il doit s'appliquer à faire rassembler des gens du pays, pour en tirer les notions qui lui sont nécessaires; mais il doit remarquer, comme je l'ai dit dans l'article précédent, qu'un paysan ou un boucher n'est pas soldat, et qu'autre est la description que fait d'un pays un économe, un voiturier, un chasseur, ou un soldat. Il faut donc que, en interrogeant ces espèces de gens, il se souvienne sans cesse qu'ils ne sont pas militaires, et qu'il faut rectifier leurs dépositions en entrant avec eux dans une discussion détaillée des lieux pris sur la carte, et selon les chemins où l'armée doit marcher. Je dois observer encore qu'il faut bien prendre garde, en arrangeant la marche des troupes, de ne donner jamais plus d'un quart de mille d'Allemagne de distance entre chaque colonne, principalement quand c'est dans le voisinage de l'ennemi, afin que les troupes soient à portée de se prêter mutuellement des secours. Il faut surtout que, dans cette proximité des ennemis, les quartiers-maîtres redoublent de soins et d'exactitude, pour que, par leur travail, le général ait du moins un brouillon du terrain où il veut manœuvrer, soit pour faire ses dispositions d'avance pour la sûreté des marches, soit pour les camps qu'il veut prendre, soit pour attaquer l'ennemi. Des officiers qui se distinguent dans cette partie ne peuvent pas manquer de faire fortune, car ils acquièrent par la pratique toutes les connaissances qu'un général doit avoir des différentes façons de faire de bonnes dispositions dans tous les cas qui peuvent se présenter. J'en excepte les plans de campagne, dont cependant ils<131> voient l'exécution, et auxquels ils réussiront également, s'ils ont l'esprit intelligent, sage et juste, et qu'ils s'appliquent sans cesse' à bien connaître par où l'on peut faire le mal le plus sensible et le plus décisif à la puissance contre laquelle on fait la guerre.

Voilà à peu près tout ce que j'ai pu vous prescrire par rapport aux marches. Mais je dois ajouter cependant que l'art de la guerre est si immensément vaste, qu'on ne l'épuisera jamais, et que l'expérience des temps à venir ajoutera encore sans cesse des connaissances nouvelles à celles qui nous ont été transmises et à celles que nous axons recueillies de nos jours.


119-a Voyez t. IV, p. 13 et 14.

121-a Voyez, t. I, p. 84; t. XXVIII, p. 104; et ci-dessus, p. 93.

121-b Voyez t. IV, p. 127 et suivantes.

124-a Voyez t. II, p. 125.

124-b Voyez t. III, p. 171 et 172.

125-a Voyez t. X, p. 41 et 77; t. XII, p. 65.

125-b En janvier 1745. Voyez t. III, p. 87 et 88.

126-a Voyez t. XXVIII, p. 61.

127-a Vénèdes. Voyez t. I, p. 4 et 225.