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XII. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC LA LANDGRAVE CAROLINE DE HESSE-DARMSTADT. (30 OCTOBRE 1757 - 27 MARS 1774.)[Titelblatt]

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1. DE LA LANDGRAVE DE HESSE-DARMSTADT.

Berlin, 30 octobre 1757.



Sire,

Il y a de la témérité d'oser écrire à Votre Majesté, je le sens; j'ai hésité longtemps, mais mon attachement l'emporte. Recevez, Sire, avec bonté et indulgence le premier et peut-être le dernier hommage que je prends la liberté de vous offrir. Je pars, parce que la démarche que le prince de Darmstadt a faite2_151-a l'exige ainsi; mais je quitte avec mille regrets les États de V. M. Pénétrée de respect et de vénération pour le héros et le grand homme, mon zèle m'accompagnera partout, et je ne serai occupée qu'à faire des vœux pour la conservation de V. M. et pour le succès de ses armes. J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect,



Sire,

de Votre Majesté
la très-humble et très-obéissante servante,
Caroline de Hesse,
née des Deux-Ponts.

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2. A LA LANDGRAVE DE HESSE-DARMSTADT.

Potsdam, 2 avril 1767.



Madame ma cousine,

La lettre tout à fait obligeante de Votre Altesse, par laquelle elle me fait la proposition de faire entrer à mon service son neveu le prince de Waldeck, m'a été d'autant plus agréable, qu'elle m'est une marque bien sensible de son souvenir; et je serai véritablement charmé, madame, de me prêter là-dessus à vos vues, pourvu que le susdit prince déclare par revers que, dans le cas que la cour impériale vînt un jour à publier des avocatoires, il n'en resterait pour cela pas moins attaché à mon service. Il ne s'agira donc là-dessus que de ce préliminaire, après la conclusion duquel je me ferai un vrai plaisir d'accueillir le prince votre neveu à mon service et de l'y placer convenablement, ne souhaitant d'ailleurs que de trouver des occasions sans nombre où je puisse prouver à V. A. les sentiments d'estime et de la parfaite amitié avec lesquels je suis, madame ma cousine, etc.

3. DE LA LANDGRAVE DE HESSE-DARMSTADT.

Darmstadt, 4 juin 1769.



Sire,

Je suis touchée et pénétrée de la plus respectueuse reconnaissance de la faveur dont V. M. me comble, et ma famille, par le choix qu'elle<153> a daigné faire de ma fille Frédérique pour épouse de S. A. R. M. le Prince de Prusse. Élevée dans les mêmes sentiments qui m'animent pour V. M., j'ai lieu d'espérer que ma fille se rendra digne de votre protection, Sire, et de vos bonnes grâces. J'ose réclamer dès à présent l'indulgence de V. M. pour des fautes que l'inexpérience et le manque d'usage peuvent faire commettre à une jeune personne qui n'a jamais vécu dans le grand monde. Le colonel comte de Bohlen2_153-a m'a dit, par ordre de V. M., qu'elle désirait que j'accompagne ma fille. Vos volontés, Sire, feront toujours ma loi; je ne doute pas du consentement du Landgrave, dès que V. M. croit ma présence de quelque utilité à ma fille. Combien de raisons, d'ailleurs, qui me font désirer ce voyage! Je ne m'étendrai point sur mon attachement pour V. M.; il n'a jamais varié. Vous désirez, Sire, que je hâte les apprêts pour le départ de ma fille; je vous supplie d'être persuadé que je ferai l'impossible pour qu'elle soit rendue à Charlottenbourg vers le temps que V. M. l'ordonne. Qu'elle se rende digne de vos bontés, Sire, et je serai la mère du monde la plus heureuse. Je supplie V. M. de m'accorder la continuation de sa bienveillance, en faveur de mes sentiments pleins de vénération, de respect, et de mon attachement le plus inviolable. Je suis, Sire, etc.

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4. A LA LANDGRAVE DE HESSE-DARMSTADT.

Le 12 juin 1769.



Madame ma cousine,

Je vous avoue franchement, ma chère landgrave, que l'impression du mérite de la mère a entièrement influé sur le choix que nous avons fait de la princesse votre fille. Je vous remercie sincèrement du plaisir que vous voulez me faire de conduire vous-même la promise ici. J'ose croire que cela était nécessaire et utile pour une jeune personne qui, tombant dans un pays nouveau pour elle, aurait besoin d'être guidée par une princesse de votre expérience. Il est d'ailleurs, madame, tout plein de choses que l'on peut se dire, et qui ne doivent point être confiées au papier, dont je pourrai vous entretenir. Si vous voulez bien, outre ces raisons, que j'en allègue une non moins forte, c'est, madame, la satisfaction que je sens de voir une princesse pour laquelle j'ai été pénétré en tout temps de la plus haute estime, et de laquelle je ne cesserai d'être, madame ma cousine, etc.

5. A LA MÊME.

(26 juillet 1769.)



Madame ma cousine,

Je sens toute l'incongruité de mon entreprise; je suis très-persuadé qu'il n'y a rien de plus ridicule qu'un vieillard blanchi sous le harnois et chargé d'années, qui conçoit l'idée d'envoyer son portrait à une grande princesse. Ce procédé serait inexcusable, si l'on ne<155> m'avait assuré que cette grande princesse voulait avoir le portrait de ce vieillard. Je vous l'offre donc, madame, tel qu'il est. S'il savait s'exprimer, il vous dirait combien l'original vous estime et vous respecte; plus hardi ou téméraire que je ne suis, il ajouterait une infinité de choses que je supprime pour ménager, madame, l'extrême modestie dont vous faites profession. Puisse cette faible représentation de ma décrépitude vous faire souvenir d'un homme qui connaît tout le prix de votre amitié, et qui se fait un devoir de la mériter! Puissiez-vous accepter le tout avec indulgence, et ne point douter des sentiments distingués et de la considération infinie avec laquelle je suis, etc.

6. DE LA LANDGRAVE DE HESSE-DARMSTADT.

(26 juillet 1769.)



Sire,

Votre Majesté recevra-t-elle avec bonté mes remercîments très-humbles pour le magnifique présent qu'on vient de me remettre de sa part, et pour la lettre dont il a été accompagné, qui me le rend d'un prix inestimable? Rien au monde n'aurait pu me faire plus de plaisir que le portrait du plus grand des humains. Je ne me plains, Sire, que de la richesse de l'entourage; je n'ambitionnais que le portrait. Il me rappellera sans cesse l'original que je respecte et, j'ose ajouter, que j'adore. Oui, Sire, comblée de vos bontés, j'en sens tout le prix, et je regarde comme le temps le plus heureux de ma vie ces jours-ci, où j'ai eu le bonheur de vous voir et de vous entendre. J'emporterai avec moi le souvenir de ces mêmes bontés; rien<156> ne les effacera jamais de ma mémoire. Je supplie V. M. de rendre justice aux sentiments de vénération et de respect et à l'attachement absolu que je lui ai voués pour la vie. Je suis, Sire, etc.

7. A LA LANDGRAVE DE HESSE-DARMSTADT.

Le 10 juin 1770.



Madame ma cousine,

Je n'entre point dans les secrets de la Princesse de Prusse; Votre Altesse me fait des remercîments que je ne mérite pas. Je n'en conviens pas moins, madame, que votre présence est impayable pour ceux qui ont le bonheur d'en jouir. Je me réjouis sincèrement de votre arrivée, et je puis vous assurer, madame, que jusqu'ici la princesse votre fille se porte à merveille, et qu'il ne s'agit plus que de bien terminer le dernier acte de la scène, auquel je me flatte que votre présence mettra le comble. Je suis avec toute l'estime imaginable, madame ma cousine, etc.

8. A LA MÊME.

(Sans-Souci, 13 juin 1770.)



Madame ma cousine,

Je suis charmé, ma chère landgrave, de vous savoir arrivée en bonne santé, et j'ose vous prier d'honorer, ce midi, ma vigne de votre pré<157>sence. J'aurai le plaisir de pouvoir vous entretenir moi-même, et de prévoir avec vous ce que d'heureux destins vous annoncent. Vous priant de me croire avec autant d'attachement que de considération, madame ma cousine, etc.

9. A LA MÊME.

(3 août 1770.)



Ma chère grand' maman,

Je vous ai tant d'obligation du jour que je vois, que je ne puis m'empêcher de vous en témoigner ma reconnaissance. Voici ce que je vous ai apporté de je ne sais d'où je viens; conservez-le, je vous prie, ma bonne maman-grand, pour vous ressouvenir de moi. Quand je pourrai parler, je vous en dirai davantage.

Le nouveau venu.2_157-a

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10. A LA MÊME.

(11 août 1770.)



Madame ma cousine,

Si je n'avais été accablé d'affaires aujourd'hui, je m'étais proposé, madame, de vous prier à dîner; mais quelqu'un me fit apercevoir de mon indiscrétion, en remarquant qu'une mère, sur le point de quitter sa fille, préfère sa société à toute autre. Je me suis rendu, madame, à cette raison; je l'ai trouvée si vraie, que j'ai cru devoir sacrifier mon agrément à votre tendresse. Je vous ai les plus grandes obligations; vous êtes venue assister la Princesse de Prusse dans ses couches, et souffrez que j'attribue, comme de raison, à votre courage et à votre résolution le salut de la mère et de son fils. Ce sont des droits, madame, que le temps ne saurait effacer de mon souvenir. Mais qu'importe le souvenir d'un vieillard qui doit d'un jour à l'autre disparaître de la face de la terre? Je vous renvoie, madame, le billet que je viens de recevoir, coté selon votre intention, en vous assurant que personne n'est plus pénétré de vos admirables qualités, ne vous aime plus et ne vous estime plus que, madame ma cousine, etc.

11. A LA MÊME.

Le 5 décembre 1770.



Madame ma cousine,

Rien ne m'a fait plus de plaisir, madame, que les marques de souvenir que vous me donnez. Vous avez la bonté de penser à moi, à l'oc<159>casion d'un célèbre maître de ballets de Mannheim. J'ai vu de ces ballets de Noverre en Moravie;2_159-a ils sont beaux et préférables en tout aux anciens; mais ils exigent une grande dépense par le nombre de figurants et d'habits qu'ils demandent, et, pendant sept années consécutives, les Autrichiens, Russes et Français nous ont fait tant danser, que nous avons un peu perdu le goût de la danse théâtrale, ou du moins que nous en bornons la dépense. Ce sont les raisons, madame, qui nous bornent à ce que nous avons; ni plus ni moins, je vous ai autant d'obligation, madame, que si de vos bontés je tenais les plus beaux ballets de l'univers. Il me suffit de votre intention, à laquelle je réponds par une estime parfaite et l'attachement avec lequel je suis, madame ma cousine, etc.

12. A LA MÊME.

Potsdam, 7 mai 1772.



Madame ma cousine,

Il se présente une occasion favorable, madame, pour l'établissement d'une des princesses vos filles. J'ai cru, comme de raison, qu'avant tout il fallait consulter sur cet article la volonté d'une mère respectable. Il ne s'agit pas, madame, d'une bagatelle, mais de placer, ou non, une de vos filles sur le trône de Russie. La chose est très-faisable. J'avoue que ces grandes fortunes sont toujours sujettes à quelques hasards. Cependant il y a plutôt à parier que les choses tourneront bien, qu'elles prennent un tour fâcheux. V. A. jugera<160> elle-même quel avantage sa maison pourrait retirer d'un pareil établissement. Je la prie de vouloir se consulter là-dessus, et de me faire savoir ensuite sa résolution. Il n'y a point de temps à perdre, et je suis presque sûr de faire réussir la chose, si, madame, vous l'approuvez. Je me trouverai heureux si, en saisissant cette occasion qui se présente, je puis, madame, vous rendre quelques services et vous donner des marques de l'estime et de la considération avec laquelle je suis, etc.

13. DE LA LANDGRAVE DE HESSE-DARMSTADT.

Darmstadt, 18 mai 1772.



Sire,

Je sens tout le prix des bontés dont Votre Majesté m'honore; elle m'en donne dans ce moment-ci une preuve bien forte en daignant s'intéresser à l'établissement d'une de mes filles. Cette affaire ne m'est point absolument inconnue, et, V. M. me faisant l'honneur de m'en parler comme d'une chose faisable, je lui répondrai avec toute la franchise de mon caractère que je ne refuserai point un établissement aussi brillant que je le vois avantageux pour moi et pour ma famille. Outre la satisfaction que j'aurai de voir une de mes filles appartenir à l'impératrice de Russie, mes sentiments pour cette grande princesse me rendront cette alliance d'autant plus précieuse. Je me confie entièrement à V. M., touchée de ses bontés et heureuse de pouvoir compter sur son suffrage. Que ne puis-je soumettre toutes les actions importantes de ma vie à la décision de V. M., à qui<161> j'ai voué la confiance la plus absolue, un attachement inviolable et le plus profond respect! Je suis, Sire, etc.

14. A LA LANDGRAVE DE HESSE-DARMSTADT.

Le 24 mai 1772.



Madame ma cousine,

Je suis charmé, ma chère landgrave, de m'être rencontré dans votre façon de penser. A présent que je suis sûr de votre consentement, je mettrai les fers au feu pour pousser cette affaire et la mener à sa conclusion. Cela me procurera sûrement le plaisir de vous revoir, car j'imagine que vous voudrez conduire vous-même la princesse votre fille dans sa nouvelle patrie. Je crois que cette affaire pourra se conclure plus vite que vous ne le croyez, et que vous aurez, madame, lieu d'en être satisfaite. Je me souviens que lorsque je proposai un parti semblable au défunt prince de Zerbst,2_161-a j'eus bien de la peine à vaincre ses scrupules de religion; il répondit à toutes mes représentations par : Meine Tochter nicht griechisch werden. Je me flatte que de pareils scrupules n'auront pas lieu dans l'affaire présente, d'autant plus qu'on lui prouva que la religion grecque était précisément la luthérienne. Il fut assez bon pour le croire, et c'est ce qui a fait que sa fille est actuellement impératrice de Russie. Voilà, madame, à quoi tient souvent l'origine des plus grandes fortunes. Je souhaite que mes soins aient toute la réussite possible, et que j'aie la satisfaction, madame, de vous l'annoncer bientôt. Je suis avec autant d'estime que d'amitié, madame ma cousine, etc.

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15. DE LA LANDGRAVE DE HESSE-DARMSTADT.

Darmstadt, 5 juin 1772.



Sire,

Combien dois-je être pénétrée de reconnaissance de la bonté avec laquelle V. M. s'occupe du sort de ma famille! J'ai mille grâces très-humbles à lui rendre d'avoir daigné me faire part, par sa lettre du 24, qu'elle va mettre les fers au feu. V. M. seule pourra faire pencher la balance en faveur d'une de mes filles; plusieurs princesses sont sur les rangs, et je n'ai point assez d'amour-propre pour croire que mes filles les égalent en charmes et en agréments. Je n'ose demander laquelle pourrait être choisie, mais je réponds que ma fille Wilhelmine acceptera sans aucune difficulté;2_162-a les hasards et la religion grecque ne l'effrayent point. Je suis sûre de l'aveu du Landgrave; je l'ai sondé sur ce mariage. Il est vrai que je ne lui ai point dit dass seine Tochter sollte griechisch werden; mais j'ai lieu de croire, vu les avantages qu'il se promet de cette alliance, qu'il lui pardonnera cette démarche, qui pourra rester ignorée jusqu'après le départ. Si quelque chose peut me faire désirer de conduire ma fille dans sa nouvelle patrie, c'est la permission que V. M. me donne de la lui présenter à Potsdam et d'avoir le bonheur de vous faire ma cour; ces moments ont été et seront toujours les plus heureux de ma vie. V. M. connaît toute l'étendue des sentiments que je lui ai voués; pleine de zèle, d'attachement et du plus profond respect, je suis, Sire, etc.

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16. A LA LANDGRAVE DE HESSE-DARMSTADT.

Le 13 juin 1772.



Madame ma cousine,

Je suis bien aise, madame, de m'être si bien rencontré avec vos idées sur l'établissement d'une des princesses vos filles, qu'à présent je puis regarder cette affaire comme presque terminée. Quant au choix de ces princesses qu'on pourra faire, je crois qu'on se décidera pour celle dont l'âge est le plus conforme à celui du grand-duc; et d'ailleurs, madame, cela revient au même, pourvu que vous deveniez belle-mère d'un empereur de Russie. Vous me faites grand plaisir de m'apprendre que la communion grecque ne mettra aucun obstacle à cet établissement. Mon bon prince de Zerbst était plus rétif sur ce point, et quelque prêtre que je sus gagner en ce temps fut assez complaisant pour lui persuader que le rite grec était pareil à celui des luthériens, et il répétait sans cesse : Luthersch griechisch, griechisch luthersch, das gehet an. Après quelques momeries et quelques misères de cette espèce, sa fille partit pour la Russie, et la voilà à présent impératrice, et grande impératrice. Je souhaite, madame, que les obscures destinées répondent aux vœux que je fais pour votre personne et pour les heureuses suites de cette grande affaire. Mon maquerellage sera bien récompensé, si, en menant votre fille pour la placer sur ce trône, vous me faites le plaisir de passer chez moi, et de me mettre à même de vous réitérer de vive voix les assurances d'amitié et de la véritable estime avec laquelle je suis, madame ma cousine, etc.

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17. A LA MÊME.

Le 3 août 1772.



Madame ma cousine,

Je vois, madame, que vous vous forgez des monstres pour les combattre; soyez sûre ou que je n'ai aucun crédit, ou qu'une de vos filles épousera le grand-duc. Je sais en gros qu'on demande de la future de la douceur, un maintien honnête et de la fécondité. Quant au dernier point, il faut s'en rapporter aux probabilités; les expériences ne seraient pas admissibles sur un sujet aussi délicat. J'espère donc de vous voir passer chez nous, menant votre fille en triomphe au trône qui l'attend. Assebourg est un garçon qui m'est fort attaché, et qui ne gâtera rien dans cette affaire. Il est à Francfort ou dans ses environs; je ne saurais vous dire positivement, madame, quand il commencera sa tournée. Il se peut qu'il aille dans le Würtemberg; mais à cela ne tienne, il passera chez vous sans faire semblant de rien. Je suis sûr, madame, que, en voyant les princesses vos filles, et surtout en jugeant d'elles par leur respectable mère, vous aurez gain de cause. D'ailleurs, vous pouvez vous en fier à mes soins; je travaille pour vous plus que si j'étais dans votre service; ou la chose réussira, ou je n'y entends rien. Vous serez avertie de tout ce que j'apprendrai d'essentiel, et je me confie en cela entièrement à votre discrétion. Je vois, madame, qu'on gagne à être vu de loin; je ne m'attendais pas à avoir un enthousiaste dans la personne du jeune prince de Rheinfels; je crains qu'il ne se repente en voyant de près des objets que son imagination lui peint en beau. Cependant je ne saurais haïr des personnes qui me veulent du bien, et si un instinct le porte au service prussien, je ne saurais le refuser. Il dépendra donc de lui de prendre les arrangements qu'il trouvera convenables pour entrer dans une nouvelle carrière. Souvent le hasard<165> va plus loin que la prudence; je vous devrai peut-être, madame, un bon sujet,2_165-a et ce sera ajouter aux obligations que je vous ai déjà, mais non à l'estime distinguée que je vous ai vouée dès longtemps. C'est avec ces sentiments que je suis, madame ma cousine, etc.

18. A LA MÊME.

Le 2 décembre 1772.



Madame ma cousine,

Je n'ai rien de plus pressé, ma chère landgrave, que de vous prier fort d'accepter sans délai ce que l'Impératrice vous offre. N'ayez point de scrupules, et rejetez sur mes mauvais conseils tout ce qui vous embarrasse. Vous n'avez qu'à me marquer quand il vous sera séant de venir ici, et je vous inviterai tout de suite, après quoi nous délibérerons ensemble pour trouver un prétexte plausible pour votre voyage de Russie. Toutefois il faut y aller et assister au jugement du beau Paris, qui donnera la pomme à une de vos trois déesses. Vous voyez, madame, que mes pressentiments sont assez certains, et que vous triompherez du cœur d'un jeune prince qui fera un sort très-avantageux à une de vos princesses. Je ne veux point arrêter le courrier; je vous embrasse, ma chère landgrave, en vous assurant du plus parfait attachement avec lequel je suis, madame ma cousine, etc.

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19. A LA MÊME.

Le 19 décembre 1772.



Madame ma cousine,

Je vous assure, ma chère landgrave, que personne ne participe plus sincèrement à votre satisfaction que votre très-humble serviteur, et je ne me repens point du conseil que je vous ai donné. Je comprends que ce voyage vous embarrasse un peu; mais vous avez ici une fille et des amis qui se feront un plaisir de vous assister, et qu'à cela ne tienne, tout le reste ira de soi-même. Vos princesses sont sans doute timides; voudriez-vous donc qu'à leur âge elles eussent une hardiesse qui tient de l'effronterie? Eh! ne craignez rien, madame; selon que je connais la carte du pays, on les aimera mieux douces que hardies. Vous savez, d'ailleurs, combien une année de mariage délie les langues des jeunes dames; j'en ai vu (et l'Impératrice même) qu'on aurait prises pour des saintes Mitouches,2_166-a et qui dans la suite en ont bien donné à garder à d'autres. J'attendrai vos ordres pour préparer ici votre réception, et je ne vous écrirai qu'après que vous m'en aurez averti. En attendant, je jouirai de deux époques : celle de votre passage en allant, et celle de votre retour; ce sera mon Kuppelpelz.2_166-b Je vous prie, ma chère landgrave, de me croire avec toute la considération et l'amitié possible, madame ma cousine, etc.

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20. A LA MÊME.

Le 19 février 1773.



Madame ma cousine,

Comme il y a bien longtemps que la Princesse de Prusse ni tout le troupeau de vos fidèles adorateurs n'a eu le bonheur de vous voir, je ne sais, ma chère landgrave, si ce ne sera pas vous importuner que de vous prier de nous réjouir par votre présence. Je ne sais s'il m'est permis d'ajouter que le commencement de mai serait peut-être le temps le plus propre pour ce voyage, le moins incommode pour vous, et en même temps le plus favorisé par la saison. La Princesse de Prusse se réjouira d'avance sur ce moment, et si vous vouliez rendre la satisfaction complète, vous lui amèneriez ses sœurs, qu'elle aime tendrement. Vous serez la maîtresse, ma chère landgrave, de partager votre temps, comme vous le jugerez le plus convenable, entre Berlin et Potsdam, et de favoriser ainsi alternativement de votre présence des amis qui vous sont sincèrement attachés. J'espère que vous me comptez à leur tête, étant avec la plus parfaite estime et l'amitié la plus sincère, madame ma cousine, etc.

21. A LA MÊME.

Le 19 mai 1773.



Madame ma cousine,

Il m'a paru que c'est dans les besoins où nous devons nous attendre au secours de nos amis, et que c'est dans ces occasions où leur atta<168>chement doit le plus se manifester. Persuadé de cette assertion, je regarde comme un de mes devoirs d'en agir ainsi envers ceux que j'estime et considère. Mais, madame, la Princesse de Prusse pense de même, et je ne prétends point lui dérober le mérite des marques d'attachement qu'elle vous a données; au contraire, je l'en applaudis, et suis persuadé que, si le cas s'en présente, elle ne laissera pas manquer sa respectable mère de ressources dans un pays où elle se trouve dans la nécessité de faire des dépenses qui surpassent ses facultés. En attendant, madame, soyez persuadée que mes vœux vous accompagneront partout, et que rien ne vous arrivera dont je ne participerai comme votre véritable ami. Je suis avec autant d'estime que de considération, etc.

22. DE LA LANDGRAVE DE HESSE-DARMSTADT.

Berlin, 31 mai 1773.



Sire,

Le prince Dolgorouki vient de m'annoncer l'arrivée des frégates à Lübeck; elles y sont depuis le 28, et partirent le 17 de Cronstadt. Il m'a remis l'incluse, que je prends la liberté de mettre sous les yeux de V. M. J'ai fixé mon départ d'ici au 4, vendredi matin. Je partirai pénétrée de toutes les grâces dont V. M. m'a comblée, et mes enfants. Je la supplie de nous continuer sa protection et de croire que dans le monde entier, et je n'exagère point, personne ne peut vous être, Sire, plus fidèlement dévoué que je vous le suis; mon attachement est<169> à toute épreuve, et mon âme pénétrée des sentiments de la plus vive reconnaissance. Je suis avec le plus profond respect, Sire, etc.

23. A LA LANDGRAVE DE HESSE-DARMSTADT.

Le 3 août 1773.



Ma chère landgrave,

Ce qui me fait le plus grand plaisir de votre lettre est de vous savoir satisfaite et contente. On nous avait alarmés sur votre sujet, en nous mandant que vous aviez pris la maladie que la Néwa donne aux étrangers. Je me flatte qu'elle est passée actuellement, et que vous avez payé le tribut que les étrangers payent à cette sphère, ma chère landgrave, que vous habitez présentement. Je crois que toutes les choses grandes et nouvelles que vous voyez là-bas doivent vous faire grand plaisir, surtout si vous faites réflexion que, au commencement de ce siècle, cette capitale pompeuse que vous voyez, et où tant de milliers d'âmes subsistent, n'était qu'un désert marécageux où ne vivaient que des bêtes sauvages. Je fais mille vœux pour que la princesse Wilhelmine soit aussi heureuse que le comporte la condition humaine; elle retrouve dans la personne de l'Impératrice une nouvelle mère, et vous la laissez en de si bonnes mains, que vous n'en devez avoir aucune inquiétude après votre départ. Le prince votre fils est à présent à Rheinsberg, chez mon frère, qui donne quelques fêtes à ma nièce d'Orange avant son départ. Le prince attend avec impatience le moment de rejoindre sa digne mère; nous lavons vu ici, en attendant, avec bien du plaisir; mais ce qui m'en fait encore davantage, c'est l'assurance que vous daignez me donner de repasser par ici.<170> Quel plaisir, ma chère landgrave, de vous entendre conter tout ce que vous avez vu, surtout ce qui regarde la personne de l'Impératrice! Vous devez vous attendre d'avance à toutes les questions que l'intérêt que je prends à cette grande princesse me feront vous faire. C'est un tribut que les voyageurs sont obligés de payer à ceux qui n'ont pas autant vu qu'eux, et j'attends de votre complaisance que vous me le payerez. J'ai bien senti que vos affaires domestiques vous obligeraient à presser votre retour, madame votre mère et M. le Landgrave ne pouvant se passer si longtemps, madame, de votre présence. Je fais des vœux d'avance pour que votre voyage soit heureux, et que j'aie la satisfaction de vous embrasser ici en parfaite santé. Je suis avec la plus haute estime, etc.

24. DE LA LANDGRAVE DE HESSE-DARMSTADT.

Saint-Pétersbourg, 21 octobre (n. st.) 1773.

.... Mon fils a été nommé brigadier. L'Impératrice envoie par le courrier prince Dolgorouki l'ordre de Sainte-Catherine à la Princesse de Prusse. Elle m'a dit qu'elle espérait que V. M. permettra que ma fille porte cet ordre.

<171>

25. A LA LANDGRAVE DE HESSE-DARMSTADT.

Le 27 mars 1774.



Madame ma cousine,

Je ne vous importunerais pas par mes lettres, ma chère landgrave, si l'on ne m'avait étrangement alarmé sur le sujet de votre santé. Je suis trop de vos amis, trop attaché à votre personne, pour recevoir une nouvelle pareille avec indifférence, et c'est moins à vous que j'adresse ma lettre qu'à votre médecin, que je prie de vouloir m'informer de l'état de votre santé.2_171-a C'est à lui à me répondre, mais non pas à vous, ma chère landgrave, que cela pourrait incommoder dans l'état de faiblesse où vous vous trouvez. Ayez la bonté de m'envoyer sa consulte pour toute réponse, et veuille le ciel que j'y trouve les sujets de consolation que je désire! Vous assurant que de tous vos plus proches parents il n'en est aucun qui vous estime, respecte et aime plus que, madame ma cousine, celui qui est

de Votre Altesse
le fidèle cousin et ami,
Federic.

<172><173>

APPENDICE.2_173-a

1. LA LANDGRAVE DE HESSE-DARMSTADT A SON MARI.

Potsdam, 3 août 1770.



Mon cher landgrave,

Je vous annonce que vous êtes grand-père d'un prince de Prusse. La joie du prince est inconcevable, ainsi que celle de notre chère fille, qui a souffert comme une damnée de huit heures et demie du soir à deux et demie du matin, mais avec un courage et en travaillant comme un forçat. Elle sentait déjà des douleurs toute la nuit du 1er au 2. Elle vous baise les mains, et recommande son fils à vos bontés. Adieu, chérissime landgrave. Le 24 je serai chez vous, à Pirmasens. Aimez-moi toujours, et croyez que je vous adore. Votre fidèle, etc.

2. LA MÊME AU MÊME.

Potsdam, 3 août, le soir, 1770.

Grâce à Dieu, notre fille se porte aussi bien et beaucoup mieux même que les circonstances d'un accouchement aussi rude pouvaient faire espérer. Elle a eu<174> plus de cent fortes douleurs, et a travaillé sans relâche. C'est à Henckel2_174-a que l'on doit la vie de votre petit-fils. Le Roi a une joie parfaite de sa naissance. Il vint voir à onze heures ma fille, lui a dit les choses les plus gracieuses, et s'est beaucoup occupé de l'enfant, dont il a mesuré la grandeur avec sa canne, et a paru satisfait de ses grands yeux, avec lesquels il le fixait. Je reçus le Roi au haut de l'escalier; il m'embrassa, et marqua sa joie. Le Roi a envoyé une magnifique aigrette de diamants à sa nièce, pour le joli poupard qu'elle a donné, écrit-il à madame de Morrien2_174-b ....


2_151-a Le prince héréditaire de Hesse-Darmstadt, lieutenant-général au service du Roi (t. IV, p. 131), venait de donner sa démission, probablement par suite des lettres avocatoires de la cour impériale. Voyez J.-D.-E. Preuss, Urkundenbuch zu der Lebensgeschichte Friedrichs des Grossen. t. II, p. 3 et 4, nos 1 et 2.

2_153-a Il s'agit probablement du colonel prussien Philippe-Chrétien de Bohlen, qui parvint plus tard au grade de lieutenant-général.

2_157-a Voyez t. VI, p. 25; t. XX, p. 197; t. XXIV, p. 222 et 225; t. XXVI, p. 367; et ci-dessus, p. 129 et 131. Voyez aussi l'Appendice de cette correspondance.

2_159-a Voyez t. XXVI, p. 371.

2_161-a Voyez t. XXV, p. 637 et suivantes.

2_162-a Le choix de l'Impératrice tomba sur la princesse Wilhelmine, qui, arrivée à Saint-Pétersbourg, prit le nom de Natalie-Alexiewna, le 26 août (nouveau style) 1778.

2_165-a Ce n'était pas la Landgrave, mais le prince de Birkenfeld son cousin, qui avait recommandé à Frédéric le prince de Rheinfels.

2_166-a Voyez t. XI, p. 120.

2_166-b Courtage.

2_171-a La landgrave Caroline mourut le 30 mars.

2_173-a Voyez ci-dessus, p. 157.

2_174-a Joachim-Frédéric Henckel, accoucheur. Voyez J.-D.-E. Preuss, Friedrich der Grosse, eine Lebensgeschichte, t. III, p. 292.

2_174-b Voyez t. XIII, p. 10.