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XI. LETTRES DE FRÉDÉRIC AU PRINCE GUILLAUME IV D'ORANGE. (12 JANVIER 1735 ET 27 MARS 1740.)[Titelblatt]

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1. AU PRINCE GUILLAUME IV D'ORANGE.

Berlin, 12 janvier 1735.



Monsieur mon cousin,

Jamais je n'ai tant eu d'obligation au changement d'année que je lui en ai pour cette fois, me procurant le plaisir de recevoir de vos lettres, mon cher prince, dans un temps où je craignais le plus d'être effacé de votre souvenir. Je vous suis infiniment redevable des vœux que vous faites pour ma personne, et je puis vous assurer en revanche que ceux que je fais pour la vôtre sont aussi réciproques que sincères, car il n'y a qu'à vous avoir vu pour vous aimer, et à vous connaître pour ne pouvoir vous refuser une entière estime. Ce sont des choses que j'ai apprises par expérience, et des sentiments dont je ne changerai de ma vie sur votre sujet. Il ne me reste qu'à vous faire mes remercîments, et à vous témoigner ma gratitude des soins que vous vous êtes donnés, tant pour donner de l'emploi au jeune Knobelsdorff que pour obtenir la détention2_145-a du pauvre Osten. Ce sont deux actions où vous avez fait également paraître votre naturel généreux et compatissant, et l'amitié que vous avez pour moi. Je ne me contente pas de vous dire que je me ferai un plaisir de vous être<146> utile à mon tour, mais je me réserve de vous prouver par les effets comme je suis avec une estime toute particulière,



Monsieur mon cousin,

Votre parfaitement affectionné
ami et cousin,
Frederic.

2. AU MÊME.

Berlin, 27 mars 1740.



Mon cher prince,

Vous entrez aussi bien dans ma situation que j'entre dans la vôtre. Ce sont ici chagrins domestiques, ce sont chez vous dissensions intestines, avec cette différence que mes désagréments finiront d'une ou d'autre manière, et que la léthargie de vos flegmatiques seigneurs et maîtres pourrait bien finir par une apoplexie causée par la politique du cardinal. Je plains les Hollandais de leur aveuglement, et il est bien honteux de dire que les petits-fils de ces héros de la liberté qui secouèrent généreusement le joug de l'esclavage espagnol ont si fort dégénéré, qu'ils rampent actuellement sous la naissante monarchie française. Ce serait à vous de réveiller dans leur Vergadering2_146-a ces pilotes assoupis auprès de la boussole et du gouvernail. Il faut remuer tous les ressorts de la politique dans les grands dangers, et prévenir par une résolution vigoureuse la perte totale que l'on prévoit et les malheurs qu'il est encore temps d'empêcher. Faites retentir<147> la voix de la liberté; alarmez l'intérêt prêt à faire naufrage; représentez aux négociants leur prochaine banqueroute, leur commerce enlevé par les Espagnols et les Français, et par conséquent le bouleversement inévitable de toute la Hollande. Mais ce n'est point à moi de vous donner des conseils dans des choses où vous en savez tout autant et plus que moi. Je me contente de faire des vœux pour vous en particulier, et pour votre république en général. Soyez persuadé, mon cher prince, que je prends une part sincère à ce qui vous regarde, et que je me ferai toujours un sensible plaisir de vous prouver l'estime avec laquelle je suis à jamais, etc.


2_145-a Le mot détention est mis ici pour élargissement, comme au tome XVI, p. 55, 60 et 80. Voyez aussi t. VI, p. 46.

2_146-a Mot hollandais qui signifie l'assemblée des états.