<336> et en face; les troupes de l'Empire vont aussi se mettre en marche. Tout cela m'obligera de vider la Bohême dès que tant d'ennemis se mettront en mouvement. Je suis fermement résolu de faire les derniers efforts pour sauver ma patrie, quitte à voir si la fortune se ravisera, ou si elle me tournera entièrement le dos. Ce sont les contingents futurs, sur lesquels la prévoyance humaine n'a point de prise. Heureux le moment où je me suis familiarisé avec la philosophie! Il n'y a qu'elle qui puisse soutenir l'âme dans une situation pareille à la mienne. Je vous fais, ma chère sœur, le détail de mes peines; si cela ne regardait que mon personnel, mon âme ne serait pas altérée; mais je dois veiller au salut et au bonheur d'un peuple qui m'est confié. Voilà le grand point, et j'aurai à me reprocher la moindre faute, si, par lenteur ou précipitation, je donne lieu au moindre incident, d'autant plus que, dans le moment présent, toutes les fautes sont capitales. Enfin, voici la liberté de l'Allemagne et celle de cette cause protestante pour laquelle on a tant versé de sang, voilà ces deux grands intérêts en jeu; et la crise est si forte, qu'un malheureux quart d'heure peut établir pour jamais dans l'Empire la tyrannique domination de la maison d'Autriche. Je suis dans le cas d'un voyageur qui se voit entouré et prêt à être assassiné par une troupe de scélérats qui veulent se partager sa dépouille.a Depuis la ligue de Cambrai,b il n'y a point d'exemple d'une conspiration pareille à celle que cet infâme triumvirat forme contre moi; cela est affreux, et fait honte à l'humanité et aux bonnes mœurs. A-t-on jamais vu que trois grands princes complotent ensemble pour en détruire un quatrième qui ne leur a rien fait? Je n'ai eu aucun démêlé ni avec la France, ni avec la Russie, encore moins avec la Suède. Si dans la société civile trois bourgeois s'avisaient de dépouiller leur cher voisin, ils seraient proprement roués par ordonnance de la justice. Quoi! des souve-


a Voyez t. XIX, p. 177 et 178, et t. XXVI, p. 236.

b Voyez t. XIX, p. 252.