<257> lui défends sévèrement de faire imprimer ce libelle ailleurs. A peine suis-je arrivé à Berlin, que l'Akakia y paraît et s'y débite; sur quoi je le fais brûler par les mains du bourreau. Voltaire, au lieu de s'en tenir là, double et triple la dose, en écrivant contre tout le monde. J'ai eu ma part de cette affaire, et j'ai été assez bon que de le laisser partir. A présent il est à Leipzig, où il distille de nouveaux poisons, et où il se dit malade pour corriger un ouvrage terrible qu'il y compose. Vous voyez donc que, loin de vouloir jamais ravoir ce malheureux, il ne s'agit que de rompre entièrement avec lui.a Si vous me permettez donc de vous dire librement mon sentiment, ma chère sœur, je ne serais pas fâché qu'il allât à Baireuth; car, si vous y consentez, j'y enverrais quelqu'un pour lui redemander la clef et la croix qu'il a encore, et surtout une édition de mes vers qu'il a envoyée à Francfort-sur-le-Main, et que je ne veux absolument pas lui laisser, vu le mauvais usage qu'il est capable d'en faire. Quant à vous, ma chère sœur, je vous conseille de ne lui point écrire de votre main; j'y ai été attrapé. C'est le scélérat le plus traître qu'il y ait dans l'univers. Vous serez étonnée de toutes les noirceurs, de toutes les duplicités et méchancetés qu'il a faites ici. On roue bien des coupables qui ne le méritent pas autant que lui. Je vous demande pardon de cet ennuyeux détail; mais il est bon que ce méchant caractère vous soit démasqué une fois. J'attends demain ma sœur d'Ansbach. Nous nous entretiendrons de vous, ma chère sœur, et sûrement les oreilles vous corneront. Je suis avec la plus tendre amitié, ma très-chère sœur, etc.


a La correspondance du Roi avec Voltaire met dans tout son jour l'affaire dont il s'agit ici. Voyez t. XXII, p. 292-357.