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214. A LA MÊME.

Berlin, 19 janvier 1749.



Ma très-chère sœur,

J'ai eu le plaisir de trouver votre lettre ici, à mon retour de Potsdam, et j'ai trouvé mon frère si bien disposé à vous satisfaire, que vous le verrez voler à Baireuth. Il partira, je crois, le 7 du mois qui vient. Il vous apportera de ma part l'Iphigénie,a car il n'y a pas moyen de le charger de mon cœur; vous savez, ma très-chère sœur, que vous le possédez depuis longtemps. Nous faisons une banqueroute en n'ayant pas l'avantage de vous voir. Cet impromptu aurait été très-agréable pour nous tous ensemble; mais un destin jaloux de la félicité des hommes semble se complaire à traverser tout ce qui leur peut être agréable.

Le petit Sinzendorff, le Cupidon de Vienne, est ici, malade à l'extrémité. Ce serait dommage s'il mourait, car il est très-aimable, et a le meilleur ton du monde. Algarotti est de retour d'Italie; il ne sait pas plus sur Herculanum que nous autres; il n'a presque bougé de Bologne, où il a étudié comme je crois qu'il aurait pu le faire de même ici.

On a beaucoup de fêtes et de bals ici, où la jeunesse danse jusqu'à quatre heures du matin. Pour moi, je laisse à chaque saison son avantage; la mienne est déjà un peu avancée; mes cheveux grisb


a Ifigenia in Aulide, opéra de Graun, paroles de Villati, d'après Racine.

b Voltaire assistait avec Maupertuis à la toilette du Roi, lorsque ce prince leur fît remarquer qu'il avait des cheveux blancs. Le poëte fit alors l'impromptu suivant, qu'il adressa à Maupertuis :
     

Ami, vois-tu ces cheveux blancs
Sur une tête que j'adore?
Ils ressemblent à ses talents :
Ils sont venus avant le temps,
Et comme eux ils croîtront encore.

Œuvres de Voltaire

, édit. Beuchot, t. XIV, p. 412, no CCI.