<170> vois à présent que vous vous souvenez quelquefois de moi, et vous m'en assurez si obligeamment, que cela seul peut me rendre la vie. Je ne finirais jamais, si je voulais m'étendre sur ce sujet, et j'aime mieux le finir que de m'expliquer trop faiblement. Je suis fort surprise que la manufacture d'étoffes, à Berlin, ait fait en si peu de temps de si grands progrès; c'est un avantage considérable pour le pays, et si elle continue comme elle a commencé, elle aura beaucoup de débit. On a déjà voulu nous débaucher quelques-uns de nos virtuoses en Danemark; mais j'ai eu le temps d'y mettre ordre. Je ne crois pas que ceux de Berlin voudront changer de sort; ils sont si bien, qu'ils feraient très-mal de quitter. Zaghinia est meilleur que jamais à présent, étant guéri par miracle de plusieurs maux très-dangereux dont l'un aurait suffi pour l'envoyer à l'autre monde, ayant eu un ulcère dans les reins, un commencement d'hydropisie, et la pierre. Stefanio devient aussi excellent; le pauvre diable n'avait jamais appris selon les règles, ce qui était cause qu'il n'avait pas deux tons égaux; j'ai eu la patience de lui faire faire un an de suite le solfége; il chante à présent le contralto, qu'il a plus fort que Zaghini, et tous les tons clairs et égaux. La cour de Danemark est fort changée depuis la mort du Roi. La Reine a perdu toute son autorité, dont à la vérité elle avait abusé; mais le jeune roi l'a maltraitée à un point qui le rend très-condamnable. Elle est reléguée à une maison de plaisance où il ne la voit point, et il en agit fort mal avec ses frères, auxquels il a ôté jusqu'aux présents que le feu roi leur avait faits. J'ai pris la liberté, mon très-cher frère, de vous envoyer, il y a quelques postes, des boudins. S'ils sont de votre goût, je ne manquerai pas de les réitérer. Je me recommande encore à votre précieux souvenir, et suis avec tout le respect et la tendresse imaginable, mon très-cher frère, etc.


a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 260.