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232. AU MÊME.a

Le 17 mars 1771.



Mon cher frère,

Je souhaite que le temps barbare qu'il fait ne porte aucun préjudice à votre santé; je suis très-las, mon cher frère, car il n'y a pas moyen de sortir, ni d'habiter encore la campagne. Le comte Hoditz n'a point son sérail avec lui,b et il semble qu'il lui manque quelque chose; on l'amuse avec la comédie allemande et choses pareilles. L'idée que vous avez, mon cher frère, d'un Dialogue des morts entre Alberoni et Choiseul est admirable;c c'étaient des esprits à peu près de la même trempe, inquiets, vastes et superficiels. Choiseul commence à porter impatiemment la peine de son exil, et il intrigue autant qu'il peut à Versailles pour se faire rappeler, jusqu'ici sans apparence de succès. Les Autrichiens, comme je vous l'ai marqué, se prêtent aux propositions de bons offices que les Russes leur ont faites, et j'ai quelque faible espérance que l'affaire de la négociation réussira. Jusqu'ici je n'ai point encore de réponse de Pétersbourg sur la grande dépêche que j'y ai fait passer après que vous l'aviez, mon cher frère, approuvée. Ce sera sur cette réponse que nous réglerons nos petits projets d'acquisition, qui, s'ils réussissent, mon cher frère, vous seront entièrement dus. On dit que le nouveau roi de Suède passera par ici pour retourner chez lui; mais cela n'est pas sûr. J'ai reçu une lettre


a Le prince Henri était alors à Rheinsberg. De retour de Saint-Pétersbourg à Berlin le 17 février, il avait séjourné à Potsdam du 18 au 24.

b Voyez t. XX, p. XVII.

c Ce passage semble indiquer que c'est le prince Henri qui donna au Roi la première idée de son Dialogue des morts entre le duc de Choiseul, le comte de Struensée et Socrate, que nous avons imprimé t. XIV, p. 273-283, et dont Frédéric parle en ces termes dans une lettre inédite au prince Henri, du 26 février 1772 : « J'aime quelquefois à m'égayer aux dépens des sots et des méchants dont ce malheureux monde abonde, et pour m'amuser j'ai fait un Dialogue des morts entre Socrate, Choiseul et Struensée. »