<353>

193. AU MÊME.

Le 31 octobre 1767.



Mon cher frère,

Je suis charmé de vous savoir en bonne santé à Rheinsberg, à portée de profiler du beau temps qu'il fait. Le portrait de l'électrice de Saxea ne servira pas, mon cher frère, d'ornement à votre maison, en tant qu'une belle figure; ce que cette princesse a de mieux, c'est son esprit, et on ne le saurait peindre. Je ne crois pas que le moment de la majorité de son fils sera le plus agréable de sa vie, car je soupçonne cette bonne princesse de n'être pas assez philosophe pour mépriser tout ce qui tient à l'empire et à la domination. Les lettres sont sans doute la plus douce consolation des esprits raisonnables, car elles rassemblent toutes les passions, et les contentent innocemment. Un avare, au lieu de remplir un sac d'argent, remplit sa mémoire de tous les faits qu'il peut entasser; un ambitieux fait des conquêtes sur l'erreur, et s'applaudit de dominer par son raisonnement sur les autres; un voluptueux trouve dans divers ouvrages de poésie de quoi charmer ses sens et lui inspirer une douce mélancolie; un homme haineux et vindicatif se nourrit des injures que les savants se disent dans leurs ouvrages polémiques; le paresseux lit des romans et des comédies qui l'amusent sans le fatiguer; le politique parcourt les livres d'histoire, où il trouve les hommes de tous les temps aussi fous, aussi vains et aussi trompés dans leurs misérables conjectures que les hommes d'à présent. Ainsi, mon cher frère, le goût de la lecture une fois enraciné, chacun y trouve son compte; mais les plus sages sont ceux qui lisent pour se corriger de leurs défauts, que les moralistes, les philosophes et les historiens leur présentent comme dans un miroir. Tout ceci est bel et bon; mais si l'électrice de Saxe


a Voyez t. XXIV, p. 159 et suivantes.