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3. DE LA PRINCESSE JEANNE-ÉLISABETH D'ANHALT-ZERBST.

Zerbst, 4 janvier 1744.



Sire,

Votre Majesté a prévenu d'une manière si glorieuse pour moi l'ouverture que je me préparais à lui faire, que je ne saurais assez lui témoigner, ainsi que des éclaircissements que V. M. me donne sur l'affaire qu'elle concerne, l'intérêt, Sire, que vous avez la bonté d'y prendre, et vos soins pour sa réussite, la plus vive reconnaissance.

V. M. doit avoir été informée par M. le comte de Podewils d'une lettre venue pour moi de Pétersbourg, que ce ministre a fait remettre au comptoir des postes, à Berlin, pour m'être envoyée par une estafette.

C'est cette lettre, Sire, qui, en me donnant les premières lumières des intentions de S. M. I. de toutes les Russies à l'égard de mon voyage avec ma fille en sa cour, m'a donné lieu de me douter de la chose du monde à laquelle je ne pouvais assurément pas m'attendre.

Je crois inutile de remettre cette lettre à V. M., pour lui éviter l'ennui de détails dont V. M. sait déjà les principaux, et d'autres uniquement relatifs au trajet.

La parfaite vénération que j'ai toujours eue pour V. M., et, s'il m'est permis de lui parler ainsi, ma profonde estime, me portèrent du premier moment à l'en instruire; autorisée en ce principe par un avertissement de bonne part, je me trouve trop heureuse d'avoir pour confident un prince vraiment grand, qui aux titres d'ami et d'allié d'une souveraine à laquelle j'ai des obligations infinies réunit celui de mon protecteur et de ma famille dans une aussi importante affaire. Dans ce sentiment, Sire, je me fais une loi d'obéir aux conseils dont il plaira à V. M. de m'honorer.

<642>Je conçois entièrement, Sire, la conséquence du secret que V. M. me recommande; ce m'a cependant été un devoir si essentiel, par mille et mille raisons qui se comprennent plus facilement qu'elles ne se dépeignent, d'en mettre M. le Prince, de la discrétion duquel une mûre expérience répondait d'ailleurs, que je ne crois pas en être blâmable.

Le Prince ayant consenti, cette traite en effet épouvantable pour une troupe de femmes, préférablement par la saison où nous sommes, ne m'effraye pas; mon parti est pris, et, fermement convaincue que ceci est un coup de la Providence, je le suis pareillement qu'elle m'aidera à surmonter de périlleuses difficultés auxquelles bien des gens ne tiendraient pas.

La feinte du voyage à Stettin, que V. M. a bien voulu me proposer, nous a paru un masque d'autant plus sûr, que M. le Prince, qui, si V. M. le permet, m'accompagnera jusque-là, avait résolu avant cela d'y faire un tour, passant par Berlin, où nous ne nous arrêterons qu'autant de temps qu'il m'en faut pour rendre mes devoirs aux reines et à la maison royale, parce que, si j'y manquais, cela pourrait donner matière à ruminer aux curieux, et que la coutume que nous avons eue depuis quelques années de nous rendre au carnaval rendra le public moins attentif à cette démarche.

Je ne saurais, Sire, encore déterminer positivement le jour de notre départ d'ici, par deux raisons : l'une, que s'il était entrepris subitement après l'arrivée de cette estafette, qui, dans une bicoque comme ceci, a fait du fracas, cela pourrait faire penser des parents et des voisins; l'autre, que je ne saurais me dispenser, soit pour notre équipement, soit pour d'autres détails, de certains arrangements indispensablement nécessaires, qui ne sauraient se terminer qu'en plusieurs jours. J'espère qu'ils le seront vers jeudi ou vendredi de la semaine prochaine; en attendant, j'ose me donner la liberté de remettre à V. M. ma réponse en Russie, que je vous supplie très-humblement, Sire, de faire partir par une estafette.

<643>L'unique grâce qui me reste à demander à V. M. (qui lui paraîtra mesquine, mais que je lui fais en vue de marcher plus rapidement), c'est de vouloir bien donner ses ordres pour que je puisse trouver des chevaux de relais, pour mon argent, par toute la Poméranie et la Prusse. Le passe-port que V. M. en ferait expédier le serait pour la comtesse Rheinbusch, qui est le nom que S. M. I. m'a fait prescrire jusqu'à Riga, où je m'annoncerai pour recevoir l'escorte qui m'y est ordonnée.

Mon équipage sera aussi dénué d'apparence qu'il sera possible, et tout aussi propre à témoigner à S. M. I. le désir que j'ai d'agir scrupuleusement selon ses ordres qu'à marquer à V. M. l'état que je fais de ses gracieux avis et le respect avec lequel je suis,



Sire,

de Votre Majesté
la très-humble et très-obéissante
Jeanne-Élisabeth.