5. DU COMTE DE MIRABEAU.

Berlin, 18 février 1786.



Sire,

Permettez que je mette aux pieds de Votre Majesté les respectueuses réclamations d'un de mes amis contre la mauvaise foi révoltante d'un de vos sujets.

Le baron de Borcke, ci-devant envoyé de V. M. à la cour de Saxe,<363> doit à M. Théophile Cazenove, capitaliste très-connu d'Amsterdam, et chef d'une maison de commerce considérable, quatre-vingt mille livres d'une part, et, de l'autre, soixante mille livres aux héritiers du beau-père de ce même Cazenove. Ces sommes sont le prix des différences payées pour M. de Borcke dans des opérations en fonds publics faites à sa prière. Cet honnête homme, depuis qu'il a perdu, prétend que le jeu des fonds est défendu par les lois de Hollande, et croit, par cette fausseté absurde et manifeste, établir d'une manière satisfaisante qu'il ne doit pas ce qu'on a payé par son ordre exprès; il va jusqu'à disputer la validité d'une hypothèque en bonne forme qu'il a donnée sur ses terres de Clèves. Ses lettres nombreuses constatent l'indignité de sa conduite, et les raisons qu'il allègue à la cour de justice de Clèves ne la constatent pas moins.

Enlacé dans d'interminables longueurs, M. Cazenove demanderait pour toute grâce que vous daignassiez, Sire, nommer son fiscal général, ou tel autre magistrat ou ministre qu'il vous plaira choisir, pour connaître de cette affaire et la décider sans inutile délai. M. Cazenove en passerait aveuglément par cet arbitrage, et je ne désespère pas de l'obtenir de V. M., qui montra toujours le désir et la volonté d'abréger les procès et de donner à la marche de la justice distributive la plus grande activité.

Je suis avec la plus profonde vénération, et en attendant avec une respectueuse impatience le bonheur de vous revoir encore, comme vous avez daigné m'en flatter, etc.363-a


363-a Substance de la réponse verbale donnée par le Roi à son secrétaire, avec l'ordre d'écrire dans ce sens à Mirabeau : « Das ginge ja nicht an. Ich könnte mich nicht davon meliren, etc. » (Cela ne se peut pas : je ne saurais m'en mêler, etc.)