<80>fiter; et un de mes plus grands regrets est de ne pouvoir en témoigner moi-même à V. M. ma tendre reconnaissance.

Je me reproche, Sire, d'entretenir si longtemps de moi Y. M., et d'une manière si triste; j'aime mieux lui parler de ce qui se passe ici. Nous avons depuis quinze jours le comte de Falkenstein,a dont V. M. connaît le véritable nom. Je ne l'ai point encore vu, parce que je vis fort retiré, et vraisemblablement je ne le verrai pas, à moins qu'il ne vienne à nos Académies, ce qui est encore incertain. S'il nous rend visite, je me propose de lui lire un petit Éloge de Fénelon qui pourra l'intéresser, et, à l'Académie des sciences, quelques réflexions sur la théorie de la musique. Ces deux petits morceaux sont écrits il y a longtemps, et, tout médiocres qu'ils sont, je ne serais pas en ce moment en état de les faire. Il me paraît qu'en général ce prince réussit assez bien ici, qu'on le trouve honnête, affable, et cherchant à s'instruire. Il a déclaré que s'il venait aux Académies, il ne voulait point de compliments; et quoique notre métier soit d'en faire, nous lui obéirons. Il va partout sans être annoncé, ni même attendu; nos spectacles paraissent le toucher peu, il aime mieux voir les établissements utiles, ou faits pour l'être. Il alla l'autre jour à l'Hôtel-Dieu, et fut saisi d'horreur de la cruauté avec laquelle les malades sont traités dans cette maison, étant entassés jusqu'à six dans un même lit, le mort à côté du mourant, et celui-là à côté d'un convalescent. Ce n'est pas que l'Hôtel-Dieu ne soit très-riche, et en état par conséquent de faire beaucoup mieux; mais cet Hôtel-Dieu a des administrateurs, et c'est en dire assez. On assure que l'Empereur ira visiter nos ports; il trouvera notre marine, non pas dans l'état brillant où elle a été quelques moments sous Louis XIV, mais du moins dans un état supportable, et bien meilleur que celui où la mauvaise politique du cardinal de Fleury l'avait laissée. Les citoyens honnêtes se flattent ici que ce prince fera connaître au Roi son beau-frère l'état horrible


a L'empereur Joseph II. Voyez t. VI, p. 27, et t. XXIII, p. 450, 451, 455 et suivantes.