« <500>instructions sur les devoirs de la royauté. Il lui représente qu'un roi ne l'est pas pour lui, mais pour les autres; que sa grandeur consiste, non à se bâtir de superbes palais, mais à construire des temples, à fortifier, à embellir des villes : que sa gloire est, non qu'on le craigne (quelle beauté de sentiments!), mais qu'on craigne pour lui; qu'un soin véritablement royal n'est pas d'entrer en lice avec le premier venu dans les jeux Olympiques (notez qu'Hiéron se plaisait extrêmement à ces exercices frivoles), mais de disputer avec les rois voisins à qui réussira le mieux à répandre l'abondance dans ses Etats et à rendre ses peuples heureux. » Voilà ce que j'appelle parler avec hardiesse à un maître absolu, et il fallait qu'Hiéron fût dans ce temps-là un prince fort débonnaire et fort raisonnable pour le supporter sans répugnance.

Ce qu'il me souvient d'avoir lu quelque part de Mécène, un des grands et des plus savants hommes de Rome, ministre favori de l'empereur Auguste, est encore plus fort. Un jour qu'il s'agissait dans le sénat de juger un homme de mérite, l'Empereur, souvent facile à se laisser entraîner, paraissant enclin à souscrire aux sentiments de ceux qui voulaient perdre l'accusé, Mécène, qui le remarqua, ne pouvant s'approcher de ce maître du monde pour l'avertir de bouche sans qu'on s'en aperçût, Mécène, dis-je, lui jette un billet où il avait écrit ces trois mois : « Arrête-toi, bourreau. » Ces mots firent rentrer Auguste en lui-même, et l'accusé fut absous. Il y a apparence que l'injustice à laquelle l'Empereur allait donner la main fut évidente, et que le péril fut pressant, puisque Mécène mesura si peu ses paroles, lui qu'Horace et tant d'autres ont dépeint comme un homme fort doux et poli. On ne dit pas cependant qu'Auguste lui en sut le moindre mauvais gré. Bien loin de là, se repentant, quelque temps après la mort de ce fidèle ministre, d'une fausse démarche qu'il avait faite : « Je n'aurais jamais fait cette sottise, dit-il publiquement, si Agrippa ou Mécène était encore en vie. » Le Quinze-Vingt pourrait encore alléguer les exemples de Duplessis-Mornay et de d'Aubigné, l'un et l'autre fameux par la liberté avec laquelle ils parlaient au roi Henri IV; mais la divinité du Quinze-Vingt connaissant l'histoire de ce grand prince mieux que moi, et sachant la Henriade de Voltaire par cœur, je les passerai sous silence.

J'en puis faire autant d'un exemple digne de remarque que j'ai trouvé en parcourant l'histoire de Charles VI, dans le quatrième tome du père Daniel,a J'en donnerai le précis le plus court que je pourrai, quoiqu'il ne puisse manquer de devenir un peu long.


a Nous ne savons quelle édition de l'Histoire de France du père Daniel cite le comte de Manteuffel. Dans l'édition d'Amsterdam, 1720, in-4, le règne de Charles VI se trouve dans le troisième volume, et dans l'édition de Paris, 1755, in-4, le guet-apens dressé par le duc de Bretagne au connétable de Clisson en 1387 est rapporté t. VI, p. 290 et suivantes.