« <488>mes, il se mit à pleurer, et dit tout haut : Périssent malheureusement tous ceux qui sont capables de soupçonner que de si braves gens aient jamais pu faire ou souffrir des choses honteuses! »

Ce bataillon me fait faire une réflexion que d'autres ont peut-être faite avant moi : c'est que l'amour, réduit aux bornes de l'amitié, dont il est une espèce, est tout ce qu'il y a de plus utile à la société, et de plus propre à conduire à la vertu et aux actions les plus héroïques, lorsque ceux qui se lient d'amitié ont du bon sens et du goût pour ce qui est bon et honnête.

Je dirai plus. La première marque par laquelle on peut juger du plus ou moins de probité d'un homme, c'est son plus ou moins de penchant à la tendresse ou à la dureté. Dès qu'il est susceptible, par exemple, de compassion, de charité, d'affection, fût-il d'ailleurs entiché de défauts, on peut hardiment conclure que le fond de son cœur est bon, et que ce qu'il y a de défectueux dans ses actions ou dans ses sentiments peut se corriger, pourvu qu'il soit assez heureux pour tomber entre les mains d'un ami assez charitable pour l'avertir de ses erreurs, et assez sensé pour lui indiquer les moyens de s'en guérir. Qu'il marque, au contraire, de la dureté, qu'il soit, par exemple, insensible au malheur d'autrui, qu'il soit haineux, qu'il se plaise à tourmenter, à voir souffrir son prochain, on doit compter que le fond de son âme est pétri de méchanceté, qu'il y aurait de l'imprudence à se fier à lui, qu'il y aurait de la ... à se promettre un changement radical et favorable. Deux exemples rendront ces réflexions plus claires.

Alcibiade, dans ses premières années, était adonné à toutes sortes d'excès qui faisaient très-mal augurer de lui. Il n'y a qu'à se ressouvenir de ce qu'en disent Rollin,a dans le troisième tome de son Histoire ancienne, et Plutarque, dans ses Vies des hommes illustres. Il n'y eut que Socrate qui remarqua, à travers la vie dissolue d'Alcibiade, qu'il était non seulement doué d'un esprit supérieur, mais aussi naturellement sensible à l'amitié, et que tous les vices qui semblaient l'avoir corrompu étaient plutôt les effets d'une éducation fort négligée et de mauvaises habitudes que ceux d'un méchant naturel. Alcibiade étant d'ailleurs d'une figure fort aimable, et en droit par sa naissance et par ses richesses d'aspirer aux premières dignités de l'État, Socrate ne put voir sans douleur qu'une plante d'une si bonne qualité s'abâtardit faute de culture. Il tenta toutes les voies imaginables pour le rectifier. Il y réussit enfin, en gagnant son affection et sa confiance, et il y réussit si bien, qu'il en fit un des plus grands hommes que la Grèce ait jamais vus naître.

Le second exemple que j'ai à alléguer est celui du jeune Denys, tyran ou souverain de Syracuse.


a Voyez t. XVI, p. XIV et xv, no XV, et p. 249-269.