<271> à répondre à cette belle tirade, qui peut contenter un pénitent imbécile, et non convaincre un philosophe.

Notre Académie vient de faire l'acquisition d'un nouveau membre; il sort des tribulations que quelques phrases raisonnables et modestes lui avaient attirées à Turin; son nom est l'abbé Denina.a Il a été professeur à l'université de Turin; il vous sera peut-être connu par l'Histoire des révolutions de Grèce et des révolutions d'Italie. Il vient pour dire tout haut en Allemagne ce qu'il pensait tout bas en Italie. Vous me parlez de banqueroutes, comme si l'on n'en faisait qu'à Paris; au moins nous avons eu la nôtre, au commencement de cette année, assez forte; elle était de six millions de vos livres. Les proportions sont gardées; six millions pour nous sont autant que vingt millions pour la France. Gare que le prince de Guémené ne soit le précurseur d'un plus grand que lui. L'Angleterre, l'Espagne et la France se sont épuisées dans la guerre présente; il faudra bien à la fin en venir là. Tout le monde fait banqueroute : le bon chrétien aux convoitises de la chair, le malade aux voluptés, le philosophe à l'erreur, celui qui a la bourse vide à son créancier; et la mort, qu'est-elle, qu'une banqueroute qu'on fait à la vie? Près de faire ce dernier pas, je perds de vue les charmes du monde, et je n'en vois plus que les illusions. Que la goutte me vienne assaillir, ou toute autre maladie, je sais que c'est le voiturier qui me doit conduire là-bas d'où personne n'est revenu, et j'attends le moment de mon départ sans crainte de l'avenir et avec une entière résignation. Pour vous, je vous dispute le pas, et comme avant vous je suis venu au monde, je prétends en sortir avant vous, vous assurant que, tant que je serai en vie, je ferai des vœux pour votre contentement. Sur ce, etc.


a Voyez Denina, La Prusse littéraire, t. I, p. 408 et 409 : « C'est proprement de cette aimée 1772, dit-il, que datent les tribulations dont le grand Frédéric parle dans une de ses lettres à M. d'Alembert. ... Dans le sixième chapitre du vingt-deuxième livre des Révolutions d'Italie, j'avais fait quelques réflexions sur la multiplicité des ordres religieux, etc. »