<178> vue, surtout si, par un miracle, sa statue animée allait lâcher quelque épigramme.

Il y a de beaux vers dans cette ode que vous m'avez envoyée; quelques strophes sont fortes et harmonieuses; il y en a quelques-unes d'entortillées, que l'auteur pourrait facilement corriger. J'ai vu, en passant, un M. Delislea qui va en Russie avec le prince de Ligne;b il m'a beaucoup parlé de Voltaire, qu'il prétend avoir assisté in articula mortis.c J'aurais souhaité qu'il eût pu le ressusciter. Je crois l'avoir dit, et je crains d'avoir raison, le tombeau de Voltaire sera celui des beaux-arts.d Il a fait la clôture du beau siècle de Louis XIV. Nous entrons dans le siècle des Pline, des Sénèque et des Quintilien. On quitte le monde avec moins de regret en temps de stérilité qu'en temps d'abondance; ce qui doit rendre nos derniers moments moins désagréables, parce que nous ne sommes plus attachés à ce dont il faudra nous séparer. Suivez donc mon conseil, mon cher Anaxagoras; couronnez votre front de roses, divertissez-vous, et abandonnez-


a Voyez ci-dessus, p. 85, 103 et 106.

b Voyez le Mémoire sur le roi de Prusse Frédéric le Grand, par Msgr. le P. de L..... A Berlin, 1789, grand in-8, p. 26 et suivantes, où l'auteur parle en détail de sa visite à Potsdam, du 9 ou 10 au 16 juillet 1780.

c L. c., p. 30.

d Ces mots ne se trouvent pas littéralement dans les œuvres du Roi, mais il dit dans sa lettre à Voltaire, du 4 (1er) décembre 1772 : « Continuez d'occuper ce trône du Parnasse qui, sans vous, demeurerait peut-être éternellement vacant; » dans celle du 19 (13) septembre 1774 : « Après votre mort, personne ne vous remplacera; c'en sera fait en France de la belle littérature; » dans celle du 20 (16) octobre 1774 :
     

Quand on aura perdu Voltaire,
Adieu beaux-arts, sacré vallon!
Et vous, Virgile et Cicéron,
Vous irez avec lui sous terre;

enfin, dans celle du 28 (27) décembre 1774 : « Vous êtes le dernier rejeton du siècle de Louis XIV, et si nous vous perdons, il ne reste en vérité rien de saillant dans la littérature de toute l'Europe. Je souhaite que vous m'enterriez, car, après votre mort, nihil est. » Voyez t. XXIII, p. 257, 326, 329 et 341; voyez aussi ci-dessus, p. 38.