<14> plutôt que dans la Béotie, et de lui avoir fait voir le jour dans un siècle éclairé plutôt que dans un siècle d'ignorance. Nous ne sommes pas même Béotiens; nous sommes pis que des lices placées dans un carrefour septentrional de l'Allemagne, sur les bords de la Baltique. Ovide, exilé dans le Pont, ne vit jamais autant de frimas dans les lieux où le Danube par sept bouches va se précipiter dans le Pont-Euxina que nous en essuyons ici annuellement. Jugez donc quelle impression doit faire sur des habitants d'un pays aussi disgracié de la nature l'arrivée d'Athéniens modernes, étincelants de grâces, d'esprit et de gentillesse. Que ceci me serve au moins d'apologie, et qu'on ne soupçonne plus de malignité un citoyen d'une nation célèbre chez les anciens Romains mêmes pour sa candeur et pour sa bonne foi.

Votre recommandation ne sera certainement pas inutile au sieur Tassaert. Pour de maison ni de logement, il n'en est point à ma disposition; je n'ai de ressource que celle de faire élever quelque bâtiment nouveau pour lui.b Tassaert encore nous parlera du sacre de Reims, des otages pour la sainte ampoule, d'entrées, de chars de triomphe de six cent mille livres de valeur; et nous de nous extasier, et d'admirer des merveilles auxquelles notre imagination même ne pouvait atteindre. Cette sainte ampoule, qu'une colombe apporta du ciel pour oindre un roi de France, et qui ne se vide jamais, fera dire à nos bonnes gens : Hélas! quand notre huile de Provence est consommée, il faut en ajouter de nouvelle; mais aussi n'y a-t-il qu'un Roi Très-Chrétien dans le monde, et nous sommes bien loin de l'être. Vous autres Parisiens, qui vivez dans cette sphère d'opulence et de grandeur, vous traitez de choses communes celles qui nous paraissent extraordinaires, et vous ne concevez pas l'impression qu'elles font


a Voyez t. XXIII, p. 118.

b En 1780, Frédéric fit bâtir une maison pour Tassaert près du pont dit Königsbrücke (place Alexandre, no 69). Voyez J.-D.-E. Preuss, Urkundenbuch zu der Lebensgeschichte Friedrichs des Grossen, t. III, p. 128, no 27.