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19. A D'ALEMBERT.

(Octobre 1764.)

Pour vous montrer ce que je pense sur le sujet de la philosophie, je vous envoie un Avant-propos que je fais mettre à une édition d'extraits philosophiques du Dictionnaire de Bayle.426-a Je serai bien aise de savoir si je suis du même sentiment que vous sur le sujet des choses que j'ai dites. Marquez-moi naturellement, je vous prie, ce que vous en pensez. J'attends avec impatience les explications que je vous ai demandées. Il vous faudra sans doute beaucoup de peine pour baisser les hautes sciences jusqu'à mon ignorance, et je ne connais cependant que vous capable de m'instruire. Je vous annonce pour votre amusement la découverte d'un nouveau satellite vu ici autour de Vénus. On est tout glorieux à Berlin d'avoir découvert une nouvelle étoile. Pour peu que vous en ayez envie, je tâcherai de la faire baptiser en votre nom, et, ne pouvant pas jouir du philosophe attaché à son ingrate patrie, nous jouirons au moins de son simulacre dans le ciel.

Vous me ferez beaucoup de plaisir de m'envoyer le prêtre. Par respect pour l'Être suprême, on ne le chargera pas trop ici du soin de faire un Dieu; on ne lui demandera que de bien connaître la grammaire, en le dispensant de l'Évangile.

Quoique je veuille vous placer dans le ciel, je vous prie très-fort de ne pas vous hâter de vous y rendre. Pour cet effet, je suis toujours de l'opinion des eaux minérales apéritives et des eaux plutoniques, qui seules pourront vous rétablir entièrement.

Je vous remercie de la part que vous prenez au mariage que mon neveu va faire.426-b Je souhaite que les enfants qui en pourront naître<427> aient des philosophes pour précepteurs. Quant à vous, je vois que vous ne voulez recevoir que de loin les hommages des humains; vous agissez envers nous comme les rois de Perse, qui se cachent aux hommes, et vivent dans la retraite, pour se rendre plus vénérables. Je trouve cependant que vous n'avez pas besoin de vous cacher, que bien au contraire vous gagnez à ne pas vous dérober à la communication des hommes. J'ai toujours une grande confiance dans les jansénistes et ceux de leur séquelle. Peut-être me rendront-ils le service de bannir de la France l'homme dont elle tire son plus grand ornement.


426-a Voyez t. VII, p. V et VI, et p. 141-147; et t. XVIII, p. 283.

426-b Ce mariage fut célébré le 14 juillet 1765.