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140. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Le 11 décembre 1770.



Madame ma sœur,

Détrompé depuis longtemps des illusions où les hommes placent le bonheur, je m'étais persuadé qu'on ne pouvait trouver ce bonheur que dans l'amitié. Je croyais jouir de cette félicité, connaissant, madame, les bontés que V. A. R. avait pour moi; mais j'ai encore appris par cette dernière et cruelle expérience que, dans toutes les choses du monde, la somme des maux l'emporte sur celle des biens. Tous ceux qui vous sont attachés, madame, entre lesquels je me compte le premier, ont frémi à la nouvelle du danger où V. A. R. s'est trouvée; j'ai tremblé pour la Saxe, pour l'Allemagne, et, en vérité, pour moi-même, car on ne saurait s'empêcher d'envisager les événements relativement au rapport qu'ils ont avec nous. Je n'ose attribuer cette guérison à mes prières; je n'ai pas la présomption de croire que la Providence change ses décrets éternels au gré de ma fantaisie et de ce qui me peut être le plus avantageux; mais si les vœux les plus sincères et les plus fervents ont quelque force, certainement les miens, partis d'un cœur qui vous est tout dévoué, madame, ont dû accélérer la convalescence de V. A. R. Mais quelle nouvelle obligation, madame, ne vous ai-je pas de ce que vous daignez, par la lettre que je viens de recevoir, me rassurer entièrement contre les appréhensions qui me restaient! De toutes les lettres que V. A. R. a daigné m'écrire, c'est celle qui m'a fait le plus de plaisir; elle est un témoignage sûr de sa convalescence, de son gracieux souvenir pour son fidèle adorateur, et de la persuasion où vous êtes, madame, qu'il n'y avait qu'un mot de votre main qui pût calmer mes inquiétudes. Puisse votre santé, madame, égaler le reste de vos grandes qualités! Puissiez-vous, si j'ose vous en supplier, traiter plus sérieusement les accès de goutte