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90. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

1er novembre 1767.



Madame ma sœur,

Votre Altesse Royale juge trop favorablement de nos fêtes. Si j'étais dans le cas de lui en donner jamais, je serais fort embarrassé; je me représenterais, madame, le juge devant lequel j'aurais à comparaître; je ne cesserais de faire le triage des choses, et de fouiller dans l'arrière-cabinet de mon imagination, pour en tirer tout ce que je pourrais de mieux. Une idée agréable me vient flatter sur ce sujet : je vois, madame, que l'Électeur touche dans peu à sa majorité; je suppose qu'alors V. A. R. pourra passer quelque temps dans son douaire de Pretzsch; ce lieu se trouve dans le voisinage, et dès lors il n'y aurait plus d'impossibilité, madame, à vous donner des fêtes. Peut-être que cette idée vous paraîtra folle, de la dernière folie; en ce cas, madame, je vous supplie de la supprimer. Mais si elle ne vous effarouchait pas, je vous avoue que, quand même ce ne serait qu'une illusion, elle serait pour moi un songe agréable. Vous seriez reçue comme Minerve, comme la déesse des arts, comme une nouvelle Muse, à laquelle une illustre naissance ne nuit en rien.

Je me crois obligé de vous dire, madame, que notre Psyché s'est assez passablement acquittée de son rôle, sans que ses attraits aient égratigné en rien le cœur de nos Hollandais; ils ont été de marbre, ainsi que les cardinaux de la sainte Église romaine, et je ne répondrais pas même que leurs sens aient été ébranlés par les sons de l'harmonie. Mais que vous font, madame, des oreilles hollandaises, et que vous importe qu'elles soient sensibles ou non? Je dois, madame, vous entretenir d'une matière plus importante : vous m'avez rendu jaloux à l'excès; vous remplissez mes jours de trouble; vous avez accordé des faveurs à mon frère, que vous me déniez; il possède votre portrait,