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49. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

22 septembre 1765.



Madame ma sœur,

La bonté de cœur de Votre Altesse Royale paraît par les regrets dont elle honore une personne qui lui a été attachée; c'est cette qualité que je respecte en votre défunte grande gouvernante, et qui m'a engagé à lui rendre (à ce que dit l'Église) le seul service que les vivants peuvent rendre aux morts. Je ne connais point madame de Zehmen, qui a été, à ce qu'on m'a dit, auprès des princesses filles de V. A. R.; mais, madame, si elle vous est attachée, et que je lui survive, elle peut s'attendre de ma part à la même recommandation en l'autre monde que sa devancière. Quelques pauvres desservants de l'Église ne demandent pas mieux qu'à délivrer des âmes du purgatoire, et cette petite rétribution qui leur en revient les fait subsister.

V. A. R. a la bonté de me badiner sur l'eau et le feu; mais je puis lui assurer certainement que je n'aime ni l'un ni l'autre de ces éléments, excepté le feu de cheminée en hiver, et je vous avoue, madame, que, dans ces climats rigoureux, c'est un besoin et un plaisir de se chauffer. V. A. R. a grande raison de préférer les amusements de l'esprit aux autres; ce sont les plus solides et les plus innocents. La guerre est un fléau; c'est un mal nécessaire, parce que les hommes sont corrompus et méchants, parce que les annales du monde attestent qu'on l'a faite de tout temps, et peut-être parce que l'Auteur de la nature a voulu qu'il y eût sans cesse des révolutions pour convaincre les hommes qu'il n'y a rien de stable dans tout l'empire sublunaire. Les souverains se trouvent quelquefois dans la nécessité de s'opposer à leurs ennemis cachés et ouverts; je me suis trouvé dans ce cas. Si j'ai fait des malheureux, je ne l'ai pas moins été moi-même; ce sont des accidents qui n'entrent pas dans les projets, mais