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378. DE VOLTAIRE.a

(Aux Délices) 3 juin 1760.

Sire, le vieux Suisse bavard prend peut-être mal son temps; mais il sait que V. M. peut, en donnant bataille, lire des lettres et y répondre.

Je ne savais d'abord ce que voulait dire le petit article de votre main, touchant les gens qui lisent des lettres dans les rues et dans les marchés.

1o Je ne vais jamais dans les rues, je ne vais jamais à Genève.

2o Il n'y a dans Genève que des gens qui se feraient hacher pour V. M. Nous avons un cordonnier qui bat sa femme quand il vous arrive quelque échec; et mon serrurier, qui est Allemand, dit qu'il tordrait le cou à sa femme et à ses trois enfants pour votre prospérité. Il faut, dit-il, avoir bien peu de rellichion pour penser autrement.

3o Il n'y a ni cordonnier, ni serrurier, ni prêtre, ni personne au monde à qui j'aie jamais lu une ligne de V. M.

4o Il se peut que j'aie répété quelques-uns de vos bons mots à vos idolâtres, et que le faux zèle les ait répétés, et que quelque animal les ait rapportés tout de travers. Ce sont discours en l'air. Gagnez une bataille, et laissez vos bons mots courir le monde; mais soyez très-sûr que V. M. n'éprouvera jamais de ma part la moindre infidélité.

5o Je soutiendrai jusqu'à la mort que (mettons à part Akakia, lequel, après tout, n'était pas si plaisant que vos plaisanteries sur la ville latine gardée par les géants, et à moi envoyées par V. M., et à moi communiquées par M. de Marwitz) je ne vous ai jamais manqué en rien.

6o Soyez au rang des illustres bienfaiteurs ou des illustres ingrats, cela ne me fait rien; je penserai toujours de même; toujours même admiration, mêmes sentiments.


a Cette lettre est tirée du journal Der Freymüthige, 1803, p. 29 et 30.