<153> jouissent d'une liberté entière; et comme ils sont liés avec ceux de Hollande, de France et d'Allemagne, je ne doute pas qu'ils n'aient des voies pour faire passer les livres où ils le jugent à propos.

Voilà pourtant un nouvel avantage que nous venons d'emporter en Espagne : les jésuites sont chassés de ce royaume. De plus, les cours de Versailles, de Vienne et de Madrid ont demandé au pape la suppression d'un nombre considérable de couvents. On dit que le saint-père sera obligé d'y consentir, quoique en enrageant. Cruelle révolution! A quoi ne doit pas s'attendre le siècle qui suivra le nôtre! La cognée est mise à la racine de l'arbre : d'une part, les philosophes s'élèvent contre les absurdités d'une superstition révérée; d'une autre, les abus de la dissipation forcent les princes à s'emparer des biens de ces reclus, les suppôts et les trompettes du fanatisme. Cet édifice, sapé par ses fondements, va s'écrouler; et les nations transcriront dans leurs annales que Voltaire fut le promoteur de cette révolution qui se fit au dix-neuvièmea siècle dans l'esprit humain.

Qui aurait dit, au douzième siècle, que la lumière qui éclairerait le monde viendrait d'un petit bourg suisse, nommé Ferney? Tous les grands hommes communiquent leur célébrité aux lieux qu'ils habitent et au temps où ils fleurissent.

On m'écrit de Paris qu'on m'enverra les Scythes. Je suis bien sûr que cette pièce sera intéressante et pathétique : heureux talents, qui font le charme de toutes vos tragédies! J'ai vu des tragédies et des panégyriques du jeune poëte dont vous me parlez; il a du feu, et versifie bien. Je vous suis obligé de son Épître, que vous voulez me communiquer. On m'a envoyé le Bélisaire de Marmontel.b Il faut que


a Au dix-huitième. (Variante des Œuvres posthumes, t. X, p. 38.)

b Voyez la lettre de d'Alembert à Frédéric, Paris, 10 février 1767. Celle que Marmontel écrivit au Roi, Paris, janvier 1767, en lui envoyant son Bélisaire, se trouve dans les Œuvres complètes de cet auteur, Paris, 1819, t. III, 1re partie, p. 301. Quant à la réponse de Frédéric à cette lettre, voici ce que Marmontel dit, dans le huitième livre de ses Mémoires : « Je redoutais les allusions, les applications malignes, et l'accusation d'avoir pensé à un autre que Justinien dans la peinture d'un roi faible et trompé. Il n'y avait, malheureusement, que trop d'analogie d'un règne à l'autre; le roi de Prusse le sentit si bien, que, lorsqu'il eut reçu mon livre, il m'écrivit, de sa main, au bas d'une lettre de son secrétaire de Catt : Je viens de lire le début de votre Bélisaire; vous êtes bien hardi! »