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Et qu'on a cru longtemps le père des bons vers,
Malgré tous les mauvais que chaque jour voit faire;
Soleil, par quel cruel destin
Faut-il que dans ce mois, où l'an touche à sa fin.
Tant de vastes degrés t'éloignent de Berlin?
C'est là qu'est mon héros, dont le cœur et la tête
Rassemblent tout le feu qui manque à ses États;
Mon héros, qui de Neisse achevait la conquête,
Quand tu fuyais de nos climats.
Pourquoi vas-tu, dis-moi, vers le pôle antarctique?
Quels charmes ont pour toi les nègres de l'Afrique?
Revole sur tes pas loin de ce triste bord;
Imite mon héros, viens éclairer le Nord.

C'est ce que je disais, Sire, ce matin, au soleil votre confrère, qui est aussi l'âme d'une partie de ce monde. Je lui en dirais bien davantage sur le compte de V. M., si j'avais cette facilité de faire des vers, que je n'ai plus, et que vous avez. J'en ai reçu ici que vous avez faits dans Neisse tout aussi aisément que vous avez pris cette ville.a Cette petite anecdote, jointe aux vers que Votre Humanité m'envoya immédiatement après la victoire de Mollwitz, fournit de bien singuliers mémoires pour servir un jour à l'histoire.

Louis XIV prit en hiver la Franche-Comté; mais il ne donna point de bataille, et ne fit point de vers au camp devant Dôle ou devant Besançon. Aussi j'ai pris la liberté de mander à V. M. que l'histoire de Louis XIV me paraissait un cercle trop étroit; je trouve que Frédéric élargit la sphère de mes idées. Les vers que V. M. a faits dans Neisse ressemblent à ceux que Salomon faisait dans sa gloire, quand il disait, après avoir tâté de tout : Tout n'est que vanité. Il est vrai que le bonhomme parlait ainsi au milieu de sept cents femmes et de trois cents concubines;b le tout sans avoir donné de bataille, ni fait de siége. Mais, n'en déplaise, Sire, à Salomon et à vous, ou


a Neisse fut pris le 31 octobre. Quant aux vers dont il s'agit ici, ils nous sont inconnus.

b I Rois, chap. XI, v. 1 et 3.