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310. DE VOLTAIRE.

(1752.)

Sire, je mets à vos pieds Abrahama et un Catalogue.b Le père des croyants n'est qu'ébauché, parce que je suis sans livres. Mais si V. M. jette les yeux sur cet article dans Bayle, elle verra que cette ébauche est plus pleine, plus curieuse et plus courte. Ce livre, honoré de quelques articles de votre main, ferait du bien au monde. Chérisac coulerait à fond les saints Pères.

Il y a une grande apparence que j'ai fait une grosse sottise en envoyant à V. M. un mémoire détaillé. Mais, Sire, j'ai parlé en philosophe qui ne craint point de faire des fautes devant un roi philosophe, auquel il est assurément attaché avec tendresse. Je peux très-bien me corriger de mes sottises, mais non en rougir.

J'aurai encore la hardiesse de dire que je ne conçois pas comment on peut habiller tous les ans cent cinquante mille hommes, nourrir tous les officiers de ses gardes, bâtir des forteresses, des villes, des villages, établir des manufactures, avoir trois spectacles, donner tant de pensions, etc., etc.

Il m'a paru qu'il y aurait une prodigieuse indiscrétion à moi de proposer de nouvelles dépenses à V. M. pour mes fantaisies, quand elle me donne cinq mille écus par an pour ne rien faire.

De plus, je ne connais que le style des personnes que j'ai voulu attirer ici pour travailler, et point leur caractère. Il se pourrait que, étant employées par V. M. pour un ouvrage qui ne laisse pas d'être délicat, et qui demande le secret, elles fissent les difficiles, s'en al-


a La première idée du Dictionnaire philosophique fut mise en avant chez le Roi, le 28 septembre 1702. Voyez Colini, Mon séjour auprès de Voltaire, et Lettres inédites, etc. A Paris, 1807, p. 32. - Voltaire publia cet ouvrage sous le pseudonyme de Chérisac.

b Le Catalogue de la plupart des écrivains français qui ont paru dans le siècle de Louis XIV. Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XIX, p. 47-222.