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245. DE VOLTAIRE.

Paris, 15 octobre 1749.

Sire, je viens de faire un effort, dans l'état affreux où je suis, pour écrire à M. d'Argens; j'en ferai bien un autre pour me mettre aux pieds de V. M.

J'ai perdu un ami de vingt-cinq années,a un grand homme qui n'avait de défaut que d'être femme, et que tout Paris regrette et honore. On ne lui a pas peut-être rendu justice pendant sa vie, et vous n'avez peut-être pas jugé d'elle comme vous auriez fait, si elle avait eu l'honneur d'être connue de V. M. Mais une femme qui a été capable de traduire Newton et Virgile, et qui avait toutes les vertus d'un honnête homme, aura sans doute part à vos regrets.

L'état où je suis depuis un mois ne me laisse guère d'espérance de vous revoir jamais; mais je vous dirai hardiment que si vous connaissiez mieux mon cœur, vous pourriez avoir aussi la bonté de regretter un homme qui certainement dans V. M. n'avait aimé que votre personne.

Vous êtes roi, et par conséquent vous êtes accoutumé à vous défier des hommes. Vous avez pensé, par ma dernière lettre, ou que je cherchais une défaite pour ne pas venir à votre cour, ou que je cherchais un prétexte pour vous demander une légère faveur. Encore une fois, vous ne me connaissez pas. Je vous ai dit la vérité, et la vérité la plus connue à Lunéville. Le roi de Pologne Stanislas est sensiblement affligé, et je vous conjure, Sire, de sa part et en son nom, de permettre une nouvelle édition de l'Antimachiavel, où l'on adoucira ce que vous avez dit de Charles XII et de lui; il vous en sera très-obligé. C'est le meilleur prince qui soit au monde; c'est le plus


a La marquise du Chàtelet, morte à Lunéville le 10 septembre 1749. Voyez t. XVII, p. I et II, et p. 1-52.