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243. DU MÊME.

Lunéville en Lorraine, 31 août 1749.

Sire, j'ai le bonheur de recevoir votre lettre datée de votre Tusculum de Sans-Souci, du Linterne de Scipion. Je suis bien consolé que mon agonie vous amuse. Ceci est le chant du cygne; je fais les derniers efforts. J'ai achevé l'esquisse entière de Catilina, telle que V. M. en a vu les prémices dans le premier acte. J'ai depuis commencé la tragédie d'Électre,a que je voudrais bien venir au plus vite achever à Sans-Souci. Je roule aussi de petits projets dans ma tête, pour donner plus de force et d'énergie à notre langue, et je pense que si V. M. voulait m'aider, nous pourrions faire l'aumône à cette langue française, à cette gueuse pincée et dédaigneuse qui se complaît dans son indigence. V. M. saura qu'à la dernière séance de notre Académie, où je me trouvai pour l'élection du maréchal de Belle-Isle, je proposai cette petite question : Peut-on dire un homme soudain dans ses transports, dans ses résolutions, dans sa colère, comme on dit un événement soudain? « Non, répondit-on; car soudain n'appartient qu'aux choses inanimées. - Eh, messieurs! l'éloquence ne consistet-elle pas à transporter les mots d'une espèce dans une autre? N'est-ce pas à elle d'animer tout? Messieurs, il n'y a rien d'inanimé pour les hommes éloquents. » J'eus beau faire, Sire, Fontenelle, le cardinal de Rohan, mon ami l'ancien évêque de Mirepoix, jusqu'à l'abbé d'Olivet, tout fut contre moi. Je n'eus que deux suffrages pour mon soudain.

Croit-on, Sire, que si M. Bestusheff, ou Bartenstein, disait de V. M. :

Profond dans ses desseins, soudain dans ses efforts,
De notre politique il rompt tous les ressorts;


a Oreste. Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. VI, p. 145-242.