<214> la langue et contre la poésie. Le tragique et le sublime l'emportent sur tous ces défauts, et qui sait émouvoir sait tout. Il n'en est pas ainsi de la Sémiramis. Apparemment V. M. ne l'a pas lue. Cette pièce tomba absolument; elle mourut dans sa naissance, et n'est jamais ressuscitée; elle est mal écrite, mal conduite, et sans intérêt. Il me sied mal peut-être de parler ainsi, et je ne prendrais pas cette liberté, s'il y avait deux avis différents sur cet ouvrage proscrit au théâtre. C'est même parce que cette Sémiramis était absolument abandonnée que j'ai osé en composer une. Je me garderais bien de faire Rhadamiste et Électre.

J'aurai l'honneur d'envoyer bientôt à V. M. ma Sémiramis, qu'on rejoue à présent avec un succès dont je dois être très-content. Vous la trouverez très-différente de l'esquisse que j'eus l'honneur de vous envoyer il y a quelques années. J'ai tâché d'y répandre toute la terreur du théâtre des Grecs, et de changer les Français en Athéniens. Je suis venu à bout de la métamorphose, quoique avec peine. Je n'ai guère vu la terreur et la pitié, soutenues de la magnificence du spectacle, faire un plus grand effet. Sans la crainte et sans la pitié, point de tragédies. Sire, voilà pourquoi Zaïre et Alzire arrachent toujours des larmes, et sont toujours redemandées. La religion, combattue par les passions, est un ressort que j'ai employé, et c'est un des plus grands pour remuer les cœurs des hommes. Sur cent personnes il se trouve à peine un philosophe, et encore sa philosophie cède à ce charme et à ce préjugé qu'il combat dans le cabinet. Croyez-moi, Sire, tous les discours politiques, tous les profonds raisonnements, la grandeur, la fermeté, sont peu de chose au théâtre; c'est l'intérêt qui fait tout, et sans lui il n'y a rien. Point de succès dans les représentations, sans la crainte et la pitié; mais point de succès dans le cabinet, sans une versification toujours correcte, toujours harmonieuse, et soutenue de la poésie d'expression. Permettez-moi, Sire, de dire que cette pureté et cette élégance manquent absolument à