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224. DE VOLTAIRE.

Versailles, 9 mars 1747.

Les fileuses des destinées,
Les Parques, ayant mille fois
Entendu les âmes damnées
Parler là-bas de vos exploits,
De vos rimes si bien tournées,
De vos victoires, de vos lois,
Et de tant de belles journées,
Vous crurent le plus vieux des rois.
Alors, des rives du Cocyte,
A Berlin vous rendant visite,
La Mort s'en vint, avec le Temps,
Croyant trouver des cheveux blancs.
Front ridé, face décrépite,
Et discours de quatre-vingts ans.
Que l'inhumaine fut trompée!
Elle aperçut de blonds cheveux,
Un teint fleuri, de grands yeux bleus,
Et votre flûte et votre épée;
Elle songea, pour mon bonheur,
Qu'Orphée autrefois par sa lyre,
Et qu'Alcide par sa valeur,
La bravèrent dans son empire.
Dans vous, dans mon prince elle vit
Le seul homme qui réunit
Les dons d'Orphée et ceux d'Alcide;
Doublement elle vous craignit,
Et, laissant son dard homicide,a


a M. Beuchot a mis ici, dans son édition, la variante suivante, tirée de l'édition de Kehl :
     

Et, jetant son ciseau perfide,
Chez ses sœurs elle s'en alla,
Et pour vous le trio fila
Une trame toute nouvelle,
Brillante, dorée, immortelle,
Et la même que pour Louis;
Car vous êtes tous deux amis :
Tous deux vous forcez des murailles,
Tous deux vous gagnez des batailles
Contre les mêmes ennemis;
Vous régnez sur des cœurs soumis,
L'un à Berlin, l'autre à Versailles.
Tous deux un jour .... mais je finis;
Il est trop aisé de déplaire
Quand on parle aux rois trop longtemps;
Comparer deux héros vivants
N'est pas une petite affaire.