<383> la vérité, et qui par conséquent ne donne point d'entraves à ses pensées. Lorsque vous verrez la fin de l'ouvrage, vous conviendrez avec moi qu'il est de la prudence d'ensevelir le nom de l'auteur dans la discrétion de l'amitié.

Je ne suis point intéressé; et, si je puis servir le public, je travaillerai sans attendre de lui ni récompense ni louange, comme ces membres inconnus de la société qui sont aussi obscurs qu'ils lui sont utiles.a

Après mon semestre de cour viendra mon semestre d'étude. Je compte embrasser dans quinze jours cette vie sage et paisible qui fait vos délices; et c'est alors que je me propose de mettre la dernière main à mon ouvrage, et de le rendre digne des siècles qui s'écouleront après nous. Je compte la peine pour rien, car on n'écrit qu'un temps; mais je compte l'ouvrage que je fais pour beaucoup, car il me doit survivre. Heureux les écrivains qui, secondés d'une belle imagination, et toujours guidés par la sagesse, peuvent composer des ouvrages dignes de l'immortalité! Ils feront plus d'honneur à leur siècle que les Phidias, les Praxitèle et les Zeuxis n'en ont fait au leur. L'industrie de l'esprit est bien préférable à l'industrie mécanique des artistes. Un seul Voltaire fera plus d'honneur à la France que mille pédants, mille beaux esprits manqués, et mille grands hommes d'un ordre inférieur.

Je vous dis des vérités que je ne saurais m'empêcher de vous écrire, comme vous ne pourriez vous empêcher de soutenir les principes de la pesanteur ou de l'attraction. Une vérité en vaut une autre, et elles méritent toutes d'être publiées.

Les dévots suscitent ici un orage épouvantable contre ceux qu'ils nomment mécréants. C'est une folie de tous les pays que celle du faux zèle; et je suis persuadé qu'elle fait tourner la cervelle des plus rai-


a Frédéric fait peut-être allusion aux francs-maçons, dont il faisait partie. Voyez t. XVI, p. 221, et t. XVII, p. 313.