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87. AU MÊME.

Mai 1739.a

Mon cher ami, je n'ai qu'un moment à moi pour vous assurer de mon amitié, et pour vous prier de recevoir l'écritoire d'ambre et les bagatelles que je vous envoie. Ayez la bonté de donner l'autre boîte, où il y a le jeu de quadrille, à la marquise. Nous sommes si occupés ici, qu'à peine a-t-on le temps de respirer. Quinze jours me mettront en situation d'être plus prolixe.

Le vin de Hongrie ne peut partir qu'à la fin de l'été, à cause des chaleurs qui sont survenues. Je suis occupé à présent à régler l'édition de la Henriade. Je vous communiquerai tous les arrangements que j'aurai pris là-dessus.

Nous venons de perdre l'homme le plus savant de Berlin, le répertoire de tous les savants d'Allemagne, un vrai magasin de sciences; le célèbre M. de La Crozeb vient d'être enterré avec une vingtaine de langues différentes, la quintessence de toute l'histoire, et une multitude d'historiettes dont sa mémoire prodigieuse n'avait laissé échapper aucune circonstance. Fallait-il tant étudier pour mourir au bout de quatre-vingts ans? ou plutôt ne devait-il point vivre éternellement pour récompense de ses belles études?

Les ouvrages qui nous restent de ce savant prodigieux ne le font pas assez connaître, à mon avis. L'endroit par lequel M. de La Croze brillait le plus, c'était, sans contredit, sa mémoire; il en donnait des preuves sur tous les sujets, et l'on pouvait compter qu'en l'interrogeant sur quelque objet qu'on voulût, il était présent, et vous citait les éditions et les pages où vous trouviez tout ce que vous souhaitiez d'apprendre. Les infirmités de l'âge n'ont diminué en rien les talents


a Le 1er juin 1739. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 56.)

b Voyez t. VII, p. 4, 9 et 11; t. XI, p. 43; et ci-dessus, p. 47 et 51.